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17 septembre 2014



D’après la FAO, le PAM et le FIDA, l’OMD sur la faim peut encore être atteint: réalité ou douce illusion ?



Comme chaque année à cette période, la FAO, le PAM et le FIDA publient «L'état de l'insécurité alimentaire dans le monde» (acronyme anglais : SOFI), et comme d’habitude ce rapport est plein d’informations et de données intéressantes et utiles. Mais il comprend peu d’idées nouvelles et convaincantes sur la faim et les trois agences romaines continuent de répéter les mêmes affirmations et ont tendance à se laisser bercer de douces illusions quant à la situation alimentaire mondiale.





Sur ce dernier point, prenons deux exemples :


  1. Premièrement, alors que le rapport a raison de dire que les estimations du nombre de personnes souffrant de sous-alimentation chronique est en diminution au niveau mondial (chutant d’environ 840 millions de personnes en 2008-2010, au maximum de la crise alimentaire, vers 805 millions de personnes en 2012-2014), il semble excessivement optimiste quand il affirme que l’objectif du premier Objectif de Développement du Millénaire (OMD) visant à diminuer de moitié la proportion de la population mondiale qui est sous-alimentée entre 2000 et 2015, sera atteint. Le rapport le reconnait d’ailleurs en annonçant, en passant, que les projections de cette proportion en 2015 sera 1,1% au-dessus de l’objectif fixé pour l’OMD (soit environ + 80 millions de personnes). Mais si nous considérons les chiffres absolus, plutôt que les proportions, nous pouvons voir que le nombre de personnes souffrant de sous-alimentation chronique n’a été réduit que de 14% (-124 millions de personnes) entre 2000-2002 et 2012-2014, ce qui est très loin de l’objectif qui avait été fixé lors du premier Sommet Mondial de l’Alimentation en 1996 de diminuer ce nombre de moitié ! Voilà qui démontre le rythme très lent du progrès qui a été fait dans ce domaine depuis que les leaders de ce monde se sont engagés à réaliser les OMD.


  1. Deuxièmement, le rapport parle du «modeste progrès» (modest progress) réalisé en Afrique, se référant à une réduction de la proportion des personnes souffrant de sous-alimentation chronique de 25,2% en 2000-2002 à 20,5% en 2012-2014 (et une réduction de seulement 0,4% de cette proportion entre le pic de la crise alimentaire et aujourd’hui). Pire, encore, le nombre de personnes souffrant de sous-alimentation chronique en Afrique a en fait augmenté de presque 18 millions de personnes pendant la période considérée (10 millions depuis le pic de la crise alimentaire !). Des situations semblables sont aussi observées en Océanie et en Asie de l’Ouest (Moyen Orient). Voilà qui prouve que l’image optimiste de la situation alimentaire mondiale présentée par le rapport est biaisée.


Ne pas reconnaitre la réalité et les lacunes de la lutte contre la faim et la sous-alimentation n’est certainement pas rendre un service à cette cause. Cela pourrait aboutir à un sentiment sans fondement que tout va bien, une source de suffisance, alors qu’il est grand temps, maintenant plus que jamais, de repenser notre façon de lutter contre la faim. Pourquoi les résultats observés au cours de ces dernières années sont-ils aussi décevants ? On aurait pu s’attendre à ce que le nombre de personnes sous-alimentées lors de la crise alimentaire diminuerait rapidement une fois que la crise serait progressivement résorbée. Mais cela n’a pas été le cas, et dans certaines régions ce nombre a même augmenté alors même que les prix des produits alimentaires ont baissé par rapport à 2008 ! Il faut cependant prendre tous ces chiffres avec un peu de recul, dans la mesure où ils sont souvent révisés rétrospectivement et qu’ils ne montrent plus le pic dans le nombre de sous-alimentés qui avait été largement diffusé dans la presse en 2008-2009...


Le rapport mentionne rapidement le travail mené dans le cadre de l’Echelle basée sur l’expérience de l’insécurité alimentaire (acronyme anglais FIES), un outil conçu pour combler une importante lacune dans le suivi de la sécurité alimentaire mondiale. [lire] Cet outil a déjà été utilisé dans un certain nombre de pays, et on peut regretter que le SOFI ne dise pas grand chose sur les résultats obtenus à ce jour. Confirment-il les chiffres habituellement publiés dans le SOFI ou apportent-ils une nouvelle perspective ? Aident-il à mieux comprendre la situation de sécurité alimentaire et à mieux concevoir de nouveaux moyens de lutter contre la faim ?


Cette année, le rapport présente un nouvel ensemble d’indicateurs de sécurité alimentaire qui apportent des informations complémentaires sur les quatre dimensions de la sécurité alimentaire. Ces indicateurs sont utiles mais surtout descriptifs, car ils portent essentiellement sur les résultats obtenus. Ils n’aident guère à expliquer les causes de la sous-alimentation chronique ou à tirer des conclusions quant aux bonnes pratiques (par exemple, y a-t-il des leçons à tirer des bons résultats obtenus dans les Caraïbes qui puissent être appliquées ailleurs ?). Pour ne pas rester simplement descriptif et s’orienter davantage vers l’action, le SOFI devrait probablement incorporer parmi ces indicateurs certains indicateurs d’engagement des États utilisés par l’IDS Brighton dans leur HANSI (Indice d’engagement contre la faim et pour la nutrition). [lire] Ceci permettrait de mettre en rapport les résultats obtenus par les pays avec les actions prises par leur gouvernement, ce qui aiderait à avancer dans le débat sur ce qui doit être fait pour réduire durablement la faim.


On peut se féliciter que des efforts ont commencé dans cette direction dans le cadre du chapitre du SOFI qui passe en revue quelques expériences pays en vue d’en tirer des leçons.


Une des leçons qui ressort fortement de ce chapitre est que l’engagement politique est un préalable indispensable. Exact. Mais les trois organisations romaines ne devraient-elles pas analyser plus avant les facteurs favorisant cet engagement politique et comment cet engagement peut être provoqué ? C’est devenu un lieu commun que de dire que la faim n’est pas un problème technique, mais un problème politique. Et on a pu entendre cette affirmation à plusieurs reprises dans la bouche de la direction de la FAO. Partant de cette observation importante et valable, et dans la mesure où les trois organisations romaines (FAO, PAM et FIDA) veulent réellement lutter contre la faim, elles ne devraient pas limiter leur réflexion à des questions techniques et économiques, mais aussi s’intéresser de près a la dimension politique, dans la mesure où l’engagement politique est un préalable essentiel à la réduction de la faim. Sur ce site, nous avons suggéré, au début de cette année, que les leaders politiques d’un pays doivent être mis en face de leurs responsabilités au niveau international. Laisser sa population dans la faim et la sous-alimentation chronique devrait être considéré comme un crime contre l’humanité, car c’est là une décision humaine qui cause chaque année des millions de morts. [lire] Au niveau national, des efforts devraient être faits pour faciliter l’émergence d’organisations groupant ceux qui ont faim et par l’intermédiaire desquelles ils pourront augmenter leur poids dans le débat politique, leur pouvoir et leur capacité d’influencer les décisions prises par le gouvernement. Ce travail peut s’avérer difficile, car il pourrait créer des tensions avec certains gouvernements. Mais tant que ce type de travail ne sera pas fait, rien ne changera. Les déclarations, les engagements verbaux et les discours faits par les leaders politiques resteront, dans beaucoup de pays, lettre morte et ne se traduiront pas par de l’action et des résultats.


Plus d’idées nouvelles sont aussi requises dans certains des composant de l’approche intégrée proposée dans les principaux messages du rapport SOFI. Dans le domaine du développement agricole, l’approche proposée reste fondée sur une agriculture intensive utilisant une grande quantité d’intrants agricoles qui pourtant s’est avérée non durable et hors d’accès pour la plupart des paysans pauvres souffrant de sous-alimentation. Plutôt que de promouvoir ce type d’agriculture, les trois organisations romaines devraient conseiller aux gouvernement de rechercher, d’adopter et de promouvoir des techniques agricoles plus durables et accessibles. [lire] Une autre suggestion faite par le rapport et qui présente des dangers, est la proposition de renforcer les programmes nutritionnels afin de faire face aux carences en oligo-éléments dont souffrent les mères et les enfants. L’idée est certes bonne. Le problème c’est la façon dont ces carences seront éliminées. S’il s’agit de les éliminer en diversifiant l’alimentation à partir d’une production agricole plus diverse (comme cela a pu être fait dans les pays riches dans le passé), nous ne pouvons qu’applaudir. Mais s’il s’agit de donner à la population des compléments alimentaires industriels, gratuits pour commencer puis onéreux par la suite, nous trouvons que cette approche ne constituerait pas une solution viable et durable, car les personnes les plus touchées par ces carences ne pourront jamais acquérir ces produits.


Il est urgent que les organisations romaines se prononcent clairement sur ces questions.



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Pour en savoir davantage :


  1. -Le rapport SOFI 2014 (en anglais, mais la version en français ne devrait pas tarder à être disponible sur le site de la FAO)

  2. -Le site du SOFI

  3. -Nos commentaires sur le SOFI 2013

  4. -Faim dans le monde: quel est le nombre réel de personnes sous-alimentées dans le monde? lafaimexpliquee.org

  5. -Sept principes pour en finir durablement avec la faim, lafaimexpliquee.org

 

Dernière actualisation:    septembre 2014

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