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17 janvier 2018


Quel futur pour la Politique agricole commune de l’Union européenne après 2020 ?


La réflexion sur le futur Cadre Financier Pluriannuel (CFP) de l’Union européenne pour la période de sept ans débutant en 2020, a commencé. En tant que poste budgétaire le plus important du CFP, la future Politique agricole commune de l’UE (PAC - 38% du CFP courant) constituera un enjeu majeur.


Un bref retour sur l’histoire


Lancée à une époque où l’Europe connaissait la pénurie alimentaire, après la Seconde guerre mondiale, la PAC a pendant longtemps eu comme objectifs prioritaires l’augmentation de la production et l’assurance aux agriculteurs d’un niveau de vie comparable à celui des autres travailleurs.


Dans un premier temps, cet objectif fut poursuivi en apportant un appui massif à la production. Avec la création de l’Organisation mondiale du commerce (OMC, 1995), une grande partie des politiques mises en oeuvre dans le cadre de la CAP devenaient incompatibles avec les règles du commerce international.


Cette incompatibilité déclencha un processus de réforme de la CAP qui entraîna la transformation de l’appui à la production en paiements directs aux producteurs qui étaient « découplés » de la production et dépendant essentiellement des surfaces utilisées par les agriculteurs.




Dans le CFP en cours, les paiements directs, effectués sous le Pilier I de la CAP, représentent 71% des dépenses totales. Un second pilier, le Pilier II (24% des dépenses faites actuellement dans le cadre de la CAP) fut créé pour appuyer les investissements faits sur les unités de production et dans les zones rurales ainsi que la gestion de la terre (paysages, environnement…).


Lors des négociations du CFP actuel (2014-2020), une innovation majeure fut l’inclusion de paiements verts qui visent à rendre l’agriculture plus durable et à réduire les émissions de gaz à effet de serre provenant de l’agriculture.


La situation présente


Les problèmes auxquels l’agriculture européenne doit faire face aujourd’hui sont très différents de ceux de l’époque de la création de la CAP ou même, plus récemment, du temps de l’établissement du système des piliers. Aujourd’hui :


  1. L’Europe exporte de la nourriture alors qu’un nombre croissant de ménages européens sont dans l’insécurité alimentaire ;

  2. La part moyenne de l’alimentation dans le budget des ménages est considérablement moindre de ce qu’elle était il y a quelques décennies, mais le revenu des producteurs agricoles et des autres travailleurs du système alimentaire est parfois dramatiquement bas (en France, on estime qu’un tiers des paysans vivent dans la pauvreté ce qui menace la pérennité de l’agriculture familiale à laquelle les Européens tiennent pourtant beaucoup) ;

  3. Les risques de santé liés à l’alimentation sont en augmentation (voir le récent cas de contamination du lait de Lactalis), ce qui crée un manque de confiance des producteurs dans la qualité de l’alimentation qu’ils peuvent se procurer (les plus riches d’entre eux ont de plus en plus tendance à remplacer une consommation de nourriture ‘conventionnelle’ par celle de nourriture provenant de l’agriculture biologique) [lire];

  4. La durabilité de l’agriculture européenne est en jeu (par exemple, le niveau des rendements de céréales est en baisse, alors que le niveau d’activité biologique des sols se dégrade à une vitesse alarmante et que les conséquences environnementales négatives de l’agriculture sont très visibles) ;

  5. Comme partout ailleurs dans le monde, le système alimentaire est une cause majeure d’émissions de gaz à effet de serre que les pays de l’UE se sont engagés à réduire [lire] ;

  6. La population est de plus en plus préoccupée par le bien-être animal, la fourniture de services environnementaux tels que la gestion des paysages, et par la rapide désertification des zones rurales.


Il est évident qu’à moins que la PAC soit réformée en profondeur, on voit mal comment tous ces défis pourraient être relevés. Ce point de vue est conforté par des évaluations récentes des performances de la PAC.


Pour ce qui est du revenu des producteurs, le résultat n’est guère satisfaisant (voir notre remarque sur le revenu des paysans et des travailleurs du système alimentaire), et le système des paiements directs effectués sous le Pilier I de la CAP renforcent les inégalités. Selon Matthews [lire - en anglais], sur les 7,2 millions de bénéficiaires du Pilier I, la plupart ne reçoivent que très peu de paiements, alors que 131 000 producteurs touchent plus de 50 000 euros par unité de production, emportant le tiers des paiements directs !


De plus, les paiements directs contribuent à augmenter la valeur de la terre avec des conséquences négatives pour l’installation des jeunes producteurs qui devient plus coûteuse. À titre d’illustration, le prix de la terre a été multiplié entre 4 et 5 fois en 10 ans dans les nouveaux États membres d’Europe Centrale et Orientale, même s’il n’est pas réaliste d’attribuer l’ensemble de cette augmentation aux paiements directs.


Pour ce qui concerne l’environnement, le verdissement des paiements a été fortement critiqué. Un rapport de la Cour des comptes européenne [lire] a trouvé « peu probable que le verdissement tel qu’il est actuellement mis en oeuvre entraine une amélioration significative des performances environnementales et climatiques de la PAC. » Ceci est en partie la conséquence de ce que la Commission n’a pas :

  1. « établi une logique d'intervention complète pour le paiement vert » ;

  2. « fixé d'objectifs environnementaux clairement définis et suffisamment ambitieux que le verdissement devrait permettre de réaliser. »


Le rapport conclut que « le paiement vert reste, fondamentalement, une mesure d'aide au revenu », qu’il « n'a suscité des changements dans les pratiques agricoles que sur quelque 5 % de l'ensemble des terres agricoles de l'UE » et qu’il a contribué à rajouter de la complexité à la PAC.


Qu’en est-il du futur de la PAC ?


Cette complexité de la PAC pourrait bien être un prétexte de conservatisme. C’est l’argument développé par Heinemann [lire - en anglais] qui estime que la présente complexité - et la complexité supplémentaire qui serait rajoutée si la longue liste des problèmes auxquels fait face l’agriculture européenne étaient aussi pris en compte dans la future PAC - pourrait être utilisée pour justifier les dispositifs existants de la PAC (par exemple les paiements directs) bien qu’ils ne soient pas des moyens effectifs - et encore moins efficaces - pour réaliser les objectifs déclarés.


Heinemann pense aussi qu’il est peu probable qu’il y ait un rééquilibrage entre les ressources allouées aux deux piliers. De son point de vue - qui sera considéré comme choquant par beaucoup - à moins que la PAC soit réformée, l’énorme quantité d’argent qui lui est allouée (50 milliards d’euros chaque année) serait mieux utilisée pour financer d’autres priorités, telles que l’accueil des réfugiés, l’augmentation du budget de l’aide au développement pour l’amener au niveau des engagements pris, la participation au financement des actions liées au changement climatique, etc.


Il prévoit que les négociations risquent, une fois de plus, de porter davantage sur la question du solde net entre les contributions payées et les paiements reçus par chaque État membre que sur la meilleure allocation des ressources en vue de réaliser le plus effectivement et le plus efficacement possible les objectifs qui serviront à résoudre les problèmes présents et futurs du système alimentaire européen.


D’autres estiment que l’UE ne pas simplement continuer à prendre agriculture et alimentation comme équivalentes, comme elle l’a fait jusqu’à ce jour, et que de s’occuper seulement de l’agriculture, isolé du reste du système alimentaire, ne permettra pas de s’attaquer aux problèmes principaux que le secteur agricole et alimentaire européen devra résoudre. Ils pensent qu’une Politique alimentaire de l’UE, bien coordonnée, est indispensable, pour résoudre la désarticulation des politiques.


Pour le projet Transmango, financé par l’UE, la PAC se caractérise par un « désintérêt envers… des aspects du système alimentaire tels que les préoccupations relatives à l’environnement et le changement climatique, ou de la question d’une alimentation saine » qui dépendent, en plus de la politique agricole, des politiques de sécurité des aliments, de santé publique, de commerce, de protection de l’environnement et de l’emploi, politiques qui ont tendance à être discutées séparément et qui disposent certainement de moins de ressources que la PAC [lire - en anglais]


Cependant, développer une politique alimentaire européenne, aussi indispensable que cela puisse paraître, rajouterait encore à la complexité du processus de négociation qui fait que, si l’on tient également compte des échéances électorales, certains observateurs estiment que la nouvelle PAC ne sera opérationnelle qu’après 2022 et qu’elle pourrait être de moins en moins « commune », puisqu’il semble que les chances d’une « nationalisation » de la PAC augmentent. Une telle nationalisation entraînerait très probablement une différentiation accrue des politiques ce qui amplifierait encore la compétition sur le marché européen, avec des conséquences négatives pour les unités de productions agricoles familiales qui souffriraient des stratégies commerciales agressives de l’agriculture industrielle ainsi qu’avec un développement de ses pratiques industrielles non durables.


De notre point de vue, à la faimexpliquee.org, nous verrions d’un bon oeil si l’on pouvait aussi réfléchir sur comment réduire le plus possible les impacts négatifs de la PAC sur les pays pauvres où les exemples sont nombreux qui montrent comment les produits importés subventionnés par la PAC sont une contrainte au développement de l’agriculture locale.


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Pour en savoir davantage :


  1. Heinemann, F. The Common Agricultural Policy and the Next EU Budget - Reflection Paper No.1: Preparing for the Multiannual Financial Framework after 2020, Bertelsmann Foundation, 2017 (en anglais uniquement).

  2. Jereb, S, et al., Le verdissement: complexité accrue du régime d’aide au revenu et encore aucun bénéfice pour l’environnement, Rapport spécial, Cour des comptes européenne, 2017.

  3. Lallouët-Geffroy, J., Politique agricole commune 2020 : le bal des négociations est ouvert,  Reporterre, 2017.

  4. Matthews, A., Rethinking EU budget spending on agriculture in the next MFF, CAP Reform.eu 2017 (en anglais uniquement).

  5. Oostindie, H. et al., D7.1-7.2 Policy Recommendations, TRANSMANGO, 2017 (en anglais uniquement).



Sélection d’articles déjà parus sur lafaimexpliquee.org et liés à ce sujet :


  1. Une revue de deux publications récentes et des sujets de recherches à venir illustre la façon de penser de l’Union européenne sur l’alimentation et l’agriculture, 2017

  2. Les politiques de prix peuvent contribuer à la promotion d’une alimentation plus saine : l’exemple de l’Europe, 2015

  3. Le commerce international des produits agricoles, 2014

  4. Accord sur le budget de la Politique Agricole Commune (PAC) de l’Union européenne pour la période 2014-2020: un peu plus de vert et d’égalité, mais aussi une certaine re-nationalisation de la politique agricole, 2013

 

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Dernière actualisation:    janvier 2018