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Août 2022



Une monnaie néo-coloniale

pour favoriser l’exploitation par la France*


par Anis Chowdhury** et Jomo Kwame Sundaram***



Des dispositifs de caisse d’émission [lire en anglais] d’un style colonial ont favorisé la continuation d’une exploitation impérialiste [lire en anglais] des décennies après la fin du pouvoir colonial formel. De tels systèmes monétaires néocoloniaux persistent malgré de modestes réformes.


En 2019, le vice-premier ministre italien Luigi Di Maio a accusé la France d’utiliser les dispositifs monétaires pour « exploiter » ses anciennes colonies africaines, « appauvrissant l’Afrique » et faisant en sorte que les réfugiés « partent et meurent en mer, ou arrivent sur nos côtes » [voir la vidéo en anglais].


CFA néocolonial


Tandis que la France ratifiait les accords de Bretton Woods le 26 décembre 1945, elle établissait la zone franc des colonies françaises d’Afrique (CFA), lui permettant de réactualiser les dispositifs monétaires coloniaux d’avant-guerre [lire].




L’intention déclarée du « Franc des colonies françaises d’Afrique » (FCFA) était d’amortir pour les colonies de la France les effets de la dévaluation brutale du Franc français (FF) requise pour indexer sa valeur au dollar états-unien, comme convenu à Bretton Woods.


Le ministre français des Finances de l’époque, René Pleven, affirma, « Dans une démonstration de sa générosité et de son altruisme, la France métropolitaine, ne voulant pas imposer à ses filles lointaines les conséquences de sa propre pauvreté, fixe des taux de change différents pour leur monnaie » [lire].


En décembre 1958, le franc CFA devint le « Franc de la Communauté financière africaine » (toujours FCFA). En 1960, le président Charles de Gaulle fit de la participation à la zone CFA un préalable pour la décolonisation en Afrique occidentale et centrale française [lire en français et en anglais].


Au cours des dernières années, la zone CFA a intégré 14 pays principalement francophones d’Afrique subsaharienne dans deux unions monétaires utilisant toutes deux le FCFA : l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) et la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC).


L’UEMOA comprend le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, la Guinée-Bissau, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo, tandis que la CEMAC regroupe le Cameroun, le Gabon, la Guinée équatoriale, la République centrafricaine, la République du Congo et le Tchad [lire].


En décembre 1958, le franc CFA devint le « Franc de la Communauté financière africaine » (toujours FCFA). En 1960, le président Charles de Gaulle fit de la participation à la zone CFA une précondition pour la décolonisation en Afrique occidentale et centrale française [lire en français et en anglais].


Au cours des dernières années, la zone CFA a intégré 14 pays principalement francophones d’Afrique subsaharienne dans deux unions monétaires utilisant toutes deux le FCFA : l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) et la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC).


L’UEMOA comprend le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, la Guinea-Bissau, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo, tandis que la CEMAC regroupe le Cameroun, le Gabon, la Guinée équatoriale, la République centrafricaine, la République du Congo et le Tchad.


Les « avantages incontestables » de la France


En tant que ministre des Finances de de Gaulle, le futur président Valéry Giscard d’Estaing se plaignait avec raison de l’exorbitant privilège du dollar états-unien [lire]. Mais il ne semblait nullement se soucier du rapport du Conseil économique et social datant de 1970 sur les « avantages incontestables pour la France » de la zone CFA [lire].


D’abord, la France pouvait payer avec sa propre monnaie ses importations des pays de la zone CFA, économisant ainsi ses devises pour d’autres obligations internationales. Cela devint particulièrement avantageux lors de périodes de faiblesse et d’instabilité du FF.


Ensuite, le Trésor français payait souvent des taux d’intérêt négatifs pour les réserves de FCFA [lire en anglais]. Par conséquent, les pays de la zone CFA l’ont rémunéré pour détenir leurs réserves de change ! Les revenus accumulés des placements sont par la suite utilisés comme aide de la France au pays de la zone CFA dans la forme de prêts qui doivent être remboursés avec intérêts [lire en anglais] !


Cependant, les pays de la zone CFA eux-mêmes ne peuvent pas avoir recours à leurs propres réserves comme garantie pour un crédit, puisqu’elles sont détenues par le Trésor français [lire en anglais]. De ce fait, pendant la crise financière mondiale, ils durent emprunter principalement auprès de la France à des taux d’intérêts commerciaux [regarder la vidéo].


Troisièmement, en fournissant des FCFA à un taux fixe, les recettes de seigneuriage - la différence entre le coût d’émission de la monnaie et sa valeur nominale - revenaient effectivement à la France et à la Banque centrale européenne [lire en anglais]


Pour chaque euro ainsi déposé, l’équivalent en FCFA est émis et rendu disponible au pays dépositaire. Quand la France adopta l’euro en 1999, un euro valait 6,55957 FF, ou 655 957 FCFA.


Quatrièmement, les entreprises françaises opérant en zone CFA ont été en mesure de rapatrier des fonds sans encourir un quelconque risque de change.


Les économies de la zone CFA ont, par conséquent, effectivement cédé leur souveraineté monétaire au Trésor français [lire en anglais]. Sans surprise, le contrôle monétaire par la France a servi ses propres intérêts économiques et non ceux des pays membres de la zone CFA.


Élites CFA, parrains français


La zone CFA n’a pas uniquement bénéficié à la France ; elle a également profité aux élites des pays de la zone. Leur appétit pour des imitations du style de vie à la française explique leur préférence pour des taux de change surévalués.


Le CFA facilite de même la sortie de capitaux, quel que soit le niveau d’illicéité de leur acquisition, tant que cela ne remet pas en cause les statu quo néocoloniaux. Pendant des décennies, tous les gouvernements français ont constamment soutenu ces élites, supportant souvent un pouvoir despotique.


Quand ses intérêts en Afrique étaient menacés, la France a déployé de manière unilatérale des troupes supérieurement armées [lire en anglais], insistant toujours sur son droit « légitime » à le faire [lire en anglais].


La France est accusée d’être derrière des coups d’État militaires [lire en anglais] et même des assassinats de personnalités éminentes critiquant ses intérêts, politiques et stratagèmes [lire en anglais]. Le 13 janvier 1963, à peine deux jours après avoir émis sa propre monnaie, le président Sylvanus Olympio du Togo fut tué au cours d’un coup.


En 1968, six ans après avoir retiré le Mali de la zone CFA, son dirigeant indépendantiste et premier président, Modibo Keita, fut victime d’un coup après avoir tenté de développer son économie sur des lignes plus indépendantes et progressives [lire].


Plus ça change, plus c’est la même chose


Quand la zone CFA fut créée en 1945, les colonies déposèrent 100 % de leurs réserves de devises dans un « compte d’opération » spécial du Trésor français. Cette exigence fut réduite à 65 % entre 1973 et 2005, puis à 50 % plus 20 % additionnels pour les transactions financières quotidiennes en devises ou les « passifs financiers » [regarder la vidéo en anglais].


De la sorte, les États de la zone CFA restent privés de la plupart de leurs gains en devises, n’en conservant que 30 % ! En attendant, la Banque de France détient 90 % des réserves en or de la zone CFA [lire en anglais], ce qui en fait la quatrième détentrice d’or au monde [lire].


Le dispositif FCFA était censé s’arrêter pour les pays de l’UEMOA à partir du 20 mai 2020. Cependant, l’« Eco », la monnaie ouest-africaine prévue, n’est pas encore en circulation, tandis que le transfert des euroréserves du Trésor français vers la Banque centrale ouest-africaine ne s’est toujours pas produit [lire en anglais].


En Afrique Centrale, alors que seules six anciennes colonies restent dans la zone CFA, la réforme est bien moindre qu’il n’y paraît [lire en anglais]. La France demeure le « garant financier » de l’UEMOA et nomme un membre « indépendant » au conseil d’administration de sa banque centrale.


Après sa création, le taux de change du FCFA fut fixé à 50 pour 1 FF. Le 12 janvier 1994, à la suite de l’effondrement des prix des matières premières et des problèmes de change que cela entraîna, le FCFA fut dévalué de moitié, comme demandé par le Fonds monétaire international avec le soutien de la France [lire en anglais].


La dévaluation fut un choc pour les économies de la zone CFA dans la mesure où la valeur du FCFA chuta de 50 % d’un jour à l’autre ! Cela fit monter les prix des produits d’importation, surtout l’alimentation, en accroissant le pouvoir d’achat du FF.


Cependant, les huit dévaluations successives du FF entre 1948 et 1986 par rapport au dollar et à l’or [lire en anglais] signifièrent également une grande perte de valeur pour les réserves de la zone CFA. L’argument prétendant que les pays de la zone ont bénéficié de l’arrimage du FCFA au FF supposé stable fut sapé par sa dévaluation cumulée de 70 % sur cette période !


Sans souveraineté, pas de développement


Le président socialiste François Mitterand n’était pas moins néocolonial [lire]. Il avertit que la France perdrait son importance au XXIe siècle sans le contrôle de l’Afrique.


En 2008, le président Jacques Chirac aurait dit, « Nous devons être honnêtes et reconnaître qu’une grande partie de l’argent dans nos banques vient précisément de l’exploitation du continent africain. Sans l’Afrique, la France déclinera au rang d’un pouvoir du tiers-monde » [lire en français et en anglais].


Affirmant être d’une autre génération, le président Emmanuel Macron a promis de mettre fin aux dispositifs néocoloniaux. Cependant, au sommet du G20 de 2017, il a déclaré avec mépris que le problème de l’Afrique était « civilisationnel ».


Un tel mépris néocolonial refuse de reconnaître l’exploitation continue par la France de ses colonies d’Afrique de l’Ouest et centrale. De toute évidence, les dispositifs monétaires de la zone CFA ont limité leur progrès et leurs possibilités dans le domaine des politiques économiques [lire en anglais].


L’exploitation de style colonial a continué en Afrique après la décolonisation. Il n’est donc pas surprenant que le président Idriss Deby du Tchad ait déclaré, « nous devons avoir le courage de dire qu’il existe une corde empêchant le développement en Afrique qui doit être coupée ».


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Publié initialement sur Interpress Service, le 2 août 2022 sous le titre « Neo-Colonial Currency Enables French Exploitation » https://substack.com/redirect/d0dd51f5-8a4f-49f8-bf0e-946e7c545ccf?u=23710352

** Anis Chowdhury, ancien professeur d’économie à l’Université de Western Sydney, a occupé des postes de responsabilité aux Nations Unies entre 2008 et 2015 à New York et à Bangkok.

*** Jomo Kwame Sundaram, ancien professeur d’économie, a été Assistant Secrétaire Général des Nations Unies pour le développement économique, Assistant Directeur Général de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et a reçu le Prix Wassily Leontief pour avoir fait avancer les frontières de la pensée économique en 2007.


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Pour en savoir davantage :


  1. Gladstein, A., Fighting monetary colonialism with open-source code - France still uses monetary colonialism to exploit 15 African nations. Could Bitcoin be a way out? Bitcoin Magazine, 2021 (en anglais).

  2. Diop, M.D., French monetary neo-colonialism: the CFA franc, Università Ca’Foscari Venezia, 2020 (en anglais).



Sélection d’articles déjà parus sur lafaimexpliquee.org liés à ce sujet :


  1. Opinions : Afrique pillée : continent riche, population pauvre par Jomo Kwame Sundaram, 2022.

  2. Opinions : Contre-révolution verte en Afrique par Jomo Kwame Sundaram, 2020.

  3. Afrique pillée (Saison 2), 2017.

  4. Afrique pillée, 2015.

Et tous les articles dans notre rubrique « Afrique ».

 

Dernière actualisation: août 2022

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