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26 juin 2017


Afrique pillée (Saison 2)


Trois ans après la publication, en 2014, d’une première étude intitulée Honest Accounts? The true story of Africa’s billion dollar losses (Des comptes intègres ? La vraie histoire des milliards de dollars perdus par l’Afrique) basée sur des chiffres de 2012, que lafaimexpliquee.org avait commentée [lire], une coalition de groupes militants britanniques et africains sur l’égalité et le développement publie une étude réactualisée Honest Accounts 2017 How the world profits from Africa’s wealth (Des comptes intègres 2017 - Comment le monde profite de la richesse de l’Afrique) qui utilise les dernières données disponibles.





Comme il y a trois ans, ce nouveau rapport montre que l’Afrique (en fait les 48 pays classifiés comme faisant partie de l’Afrique subsaharienne, selon la Banque mondiale) continue à voir une partie de sa richesse extraite et dirigée vers d’autres parties du monde. Malgré quelques changements observés depuis l’étude précédente, les chiffres publiés dans ce document confirment que le discours sur l’Afrique, disséminé par la plupart des médias, qui la présente comme le continent de la pauvreté, de la faim, des conflits et des crises, comme un cas désespéré, une cause perdue qui doit être soutenue par l’aide internationale pour pouvoir survivre, est tout à fait fallacieux. Alors que pauvreté, faim, conflits et crises, il y a, plutôt que d’être supportée par le reste du monde, c’est l’Afrique qui, en fait, finance le reste du monde selon les flux décrits dans la publication.


Le flux réactualisé est cependant estimé à un niveau inférieur, maintenant, à ce qu’il était il y a trois ans (41 milliards de dollars par an, comparés à 58 milliards de dollars par an, auparavant). Les principales explications avancées pour cette différence est la chute des prix des matières premières qui ont « entraîné des réductions dans les réserves de change et des profits des multinationales plus bas (mais encore considérables), rapatriés hors du continent. En plus, on observe maintenant plus de prêts aux gouvernements Africains ».


Le tableau ci-dessous montre les principales estimations d’agrégats utilisés dans l’étude de 2017.


              Flux rentrants                         Flux sortants

(en milliards de dollars par an)   (en milliards de dollars par an)



En analysant le détail des chiffres présentés dans les deux publications successives, on note les principaux changements suivants :

  1. Pour ce qui est des flux rentrant en Afrique : une augmentation de 28 milliards de dollars, dont :

    1. Une augmentation des flux rentrants découlant d’une diminution des réserves de change (20 milliards de dollars);

    2. Une augmentation de 12 milliards de dollars des prêts au secteur privé ;

    3. Une augmentation des transferts venus du reste du monde d’un peu plus de 12 milliards de dollars ;

    4. Une augmentation des prêts accordés aux gouvernements (+9,4 milliards de dollars) ;

    5. Une diminution de 10 milliards de dollars de l’aide accordée par les pays de l’OCDE.

  2. Pour ce qui est des flux sortant d’Afrique : une augmentation d’environ 10 milliards de dollars dont :

    1. Une augmentation des flux financiers illicites sortants (32 milliards de dollars) ;

    2. Une diminution provenant de la réduction des réserves de changes (25 milliards de dollars) ;

    3. Une diminution des profits des compagnies multinationales (14 milliards de dollars).


Cette évolution illustre deux points importants qui ont trait aux transformations qui ont lieu en Afrique :

    1. Bien que l’Afrique soit un continent doté d’importantes ressources, un nombre croissant d’Africains migrent hors de la région afin de trouver des moyens de subsistance, comme le montre l’augmentation des transferts venus du reste du monde. Cela révèle que la façon dont la richesse africaine est utilisée ne bénéficie pas à la grande majorité de sa population qui en est réduite à chercher un gagne-pain hors de la région. Voilà une preuve incontestable que le développement qui se produit dans les 48 pays analysés n’est pas ‘inclusif’.

    2. Il y a un mouvement en cours qui cherche à financer l’Afrique par l’Investissement Direct Étranger et des prêts aux secteurs public et privé, plutôt que par des dons. L’Afrique devient la nouvelle frontière pour les affaires, comme cela avait été prôné par la Banque mondiale en 2013, en ce qui concerne l’agriculture et l’alimentation. [lire]. Mais elle court aussi le risque de devenir, une fois de plus, la victime de crises majeures de la dette dont le Mozambique et le Ghana pourraient être les premiers exemples.

    3. Les pratiques illicites se développent vite en Afrique, comme le montre le doublement des flux financiers illicites en trois ans. Le rapport estime que les flux concernés représentent plus de trois fois l’aide reçue par les 48 pays analysés.


Comme dans leur première étude, les auteurs formulent des recommandations sur ce qui pourrait être fait (par les pays riches) pour changer cette situation :


    1. Les pays riches devraient agir pour freiner les pratiques d’évasion fiscale de leurs compagnies multinationales ;

    2. L’aide devrait être reconfigurée « en ‘réparation’ de l’extraction de richesse en cours et d’autres dommages infligés. Son niveau devrait être déterminé par le niveau des dommages, et non par un taux arbitraire fixé par les gouvernements en fonction de leur ‘générosité’ ».


Malheureusement, le ton général du rapport suggère que la responsabilité de la situation actuelle est avec les ‘pays riches’, alors que beaucoup d’observateurs pensent que la petite élite régionale est davantage qu’une complice inactive des pays riches et qu’ils estiment que le mode de gouvernance suivi dans la région devrait être profondément réformé.


En plus de quelques critiques méthodologiques qui peuvent être faites aux auteurs, on peut regretter que les flux estimés par le rapport se limitent aux flux financiers réels et, de ce fait, qu’ils peuvent sembler relativement petits à certains commentateurs, quand on les compare au PIB de l’Afrique (de l’ordre de 7700 milliards de dollars). Ainsi, les auteurs ont totalement négligé de prendre en compte le transfert de richesse résultant du commerce inégal, comme l’expliquait J. Hickel dans un article récent [lire] selon lequel les transferts des pays pauvres vers les pays riches, au niveau mondial, se comptent entre 1500 et 5000 milliards de dollars, dont une partie non négligeable en provenance de l’Afrique !


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Pour en savoir davantage :


  1. Curtis, M. and T. Jones T., Honest Accounts 2017 How the world profits from Africa’s wealth, 2017 (en anglais)

  2. McVeigh K., World is plundering Africa's wealth of 'billions of dollars a year’, The Guardian, 2017 (en anglais)

  3. Hervieu, S., Matières premières : chronique d’un « pillage systématique », Le Monde, 2015

  4. Sharples, N. et al., Honest Accounts? The true story of Africa’s billion dollar losses, 2014 (en anglais)



Sélection d’articles déjà parus sur lafaimexpliquee.org et liés à ce sujet :


  1. Hickel, J., Comment arrêter la machine mondiale à fabriquer des inégalités ?, 2017

  2. Afrique pillée, 2015

  3. Le dernier rapport de la Banque mondiale sur l’Afrique: à la conquête de la dernière frontière pour les marchés agricoles et alimentaires…, 2013 (in French only)


Voir aussi d’autres articles dans notre dossier « Afrique ».

 

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Dernière actualisation:    juin 2017