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24 septembre 2019
Quelle est la cause des grands feux de forêt : la cupidité ou la pauvreté ?
Ces dernières semaines, les médias ont activement rendu compte des incendies de forêt, les plus souvent mentionnés étant ceux qui se sont produits au Brésil (et plus largement en Amazonie) et à Madagascar. Mais d’autres parties du monde sont également affectées telles que Bornéo, le Canada, la Russie et l’Afrique Centrale, entre autres.
Des données partielles semblent indiquer que 2019 sera une année record : au Brésil, par exemple, selon l’Institut brésilien de recherche spatiale (INPE), « les feux de forêt ont augmenté de 84 % depuis le début de cette année … par rapport à la même période en 2018 » [lire]. Malheureusement, il n’y a pas de statistiques fiables qui pourraient nous aider à avoir une meilleure appréciation de l’importance de ce phénomène et de son évolution dans le temps au niveau mondial. Jadis, la FAO avait estimé qu’environ 67 millions de hectares de forêt brûlaient annuellement entre 2003 et 2012[lire en anglais], mais par la suite, ces estimations furent malheureusement interrompues.
Pour sûr, les feux de forêt ne sont pas chose récente, comme d’ailleurs les préoccupations qu’ils suscitent. Par exemple, une importante réunion avait été organisée par la FAO dès 1998 pour analyser les politiques publiques concernant ce phénomène et faire des recommandations aux gouvernements qui, apparemment, ne les ont suivies qu’en partie [voir le rapport en anglais].
Les causes des feux de forêt varient selon l’endroit, certains sont volontaires, d’autres sont la conséquence d’événements météorologiques, et les politiques publiques peuvent aider à les tenir sous contrôle sinon de les empêcher en totalité.
Pauvreté
Pendant des millénaires, mettre le feu aux forêts a été une manière simple de défricher la terre. “La culture sur brûlis” est une méthode antique encore utilisée aujourd’hui par des paysans pauvres en fin de saison sèche pour essarter la terre avant sa mise en culture quand débute la saison des pluies. C’est notamment la raison majeure des feux de forêt observés à Madagascar où ils sont utilisés tant par les cultivateurs et que par les éleveurs, ces derniers afin d’empêcher l’invasion des pâturages par des plantes ligneuses peu appétentes [lire en angais]. Dans certains cas, le feu peut être un mode de protestation ou une manière de masquer des activités criminelles [lire].
Cupidité
Les feux de forêt ont également été utilisés par les entreprises privées pour défricher la terre en vue d’établir des mines ou des plantations, en particulier des plantations de palmiers à huile sur l’île de Bornéo et en Afrique centrale [voir les photos satellite ici et ici], où le feu a été suivi d’un accaparement des terres à grande échelle fait au détriment des populations autochtones. Dans certains cas, le feu peut également se produire quand les plantations sont déjà établies, surtout dans les tourbières de Bornéo où un drainage excessif imposé par les gestionnaires des plantations assèche la tourbe et augmente les risques de feu spontané, ce qui cause des dommages sociaux, environnement et de santé considérables [lire].
L’Indonésie dispose pourtant déjà de politiques adaptées depuis des années, mais la loi n’est pas appliquée dans la mesure où les grandes compagnies produisant de l’huile de palme sont soutenues par l’administration et le personnel politique local, en grande partie du fait d’une corruption très développée.
Au Brésil, le nouveau gouvernement d’extrême-droite dirigé par le climato-négationniste Jair Bolsonaro a été accusé par les chefs et militants locaux, ainsi qu’au niveau international, de soutenir les compagnies forestières et les entreprises agroindustrielles voulant développer la production de soja et l’élevage. Un récent rapport (en anglais) de Human Rights Watch montre que les compagnies forestières se sont depuis longtemps appuyées sur des organisations criminelles menaçant et tuant des chefs locaux, des habitants indigènes et des militants tentant de protéger la forêt. Selon ce rapport, les discours et les actes du président brésilien en faveur du développement de la région amazonienne, visant officiellement à la réduction de la pauvreté, ont été interprétés par ces organisations criminelles et leurs commanditaires comme un encouragement à intensifier leurs activités violentes. En réduisant la mise en œuvre de la législation environnementale, en affaiblissant les agences fédérales environnementales et en critiquant sévèrement les organisations et les individus travaillant à la préservation de la forêt amazonienne, J. Bolsonaro a, au moins indirectement, contribué à encourager les violences et les incendies des forêts de la région.
Les conditions météorologiques
Les scientifiques expliquent l’importance des feux de forêts certaines années en invoquant un phénomène El-Niño particulièrement puissant provoquant des conditions sèches [lire ici sur le cas de l'Afrique centrale (en anglais)]. Ils estiment qu’avec le dérèglement climatique et la probabilité croissante de fortes sécheresses, les forêts seront plus sèches (même les forêts tropicales) et donc plus vulnérables au feu, qu’il soit volontaire ou naturel (foudre). Il n’est pas possible, à cette heure, de mesurer le poids spécifique de cette cause dans les observations faites, mais on estime qu’elle s’applique particulièrement dans le cas des feux observés dans l’hémisphère nord (par exemple au Canada et en Russie).
Conclusion
C’est une combinaison de pauvreté, de cupidité, des politiques en places et des conditions météorologiques qui explique les feux de forêts que l’on observe aux quatre coins du monde. Les conséquences de ces grands feux sur l’environnement, la biodiversité, la santé et les conditions de vie des peuples indigènes sont immenses.
Les responsabilités pour ces feux se partagent entre tous, depuis ceux qui décident des politiques publiques jusqu’aux consommateurs vivant à des milliers de kilomètres de l’endroit où ces feux se produisent, les premiers car ils ne prennent pas les décisions qui s’imposent et parce qu’ils ne font pas le nécessaire pour que la loi soit appliquée, les seconds dans la mesure où ils sont prêts à payer pour les produits (huile de palme, viande et autres) à cause desquels une grande partie de ces feux sont allumés.
Remarque importante :
Les feux de forêt menacent ce qui est généralement qualifié, à tort, de « poumon de la planète ». Cette appellation est erronée puisqu’au contraire des poumons qui absorbent l’oxygène pour dégager du gaz carbonique (processus de la respiration), les forêts absorbent le gaz carbonique et dégagent de l’oxygène (processus de la photosynthèse). Plutôt que « poumon » il faudrait donc qualifier les forêts d’« usine à oxygène de la planète ».
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Pour en savoir davantage :
Sur les feux de forêt :
•Incendies en Amazonie : le monde inquiet, passe d’armes entre Macron et Bolsonaro, Le Monde, 2019.
•Feux de forêt: la situation particulièrement alarmante à Madagascar, RFI, 2019.
•Acebes, C.M. et al., Rainforest Mafias - How Violence and Impunity Fuel Deforestation in Brazil’s Amazon, Human Rights Watch, 2019 (en anglais).
•Neighbour, J., Fighting the threat of forest fires in Madagascar with reforestation and… fire? National Geographic, 2019 (en anglais).
•Erickson-Davis, M., Massive wildfire rips through Congo rainforest – is logging to blame? Mongabay News, 2016 (en anglais).
•Fires across Madagascar, NASA Earth Observatory, 2015 (en anglais).
Sur l’huile de palme en Indonésie :
•Nnoko-Mewanu, J. et al., “When We Lost the Forest, We Lost Everything” - Oil Palm Plantations and Rights Violations in Indonesia, Human Rights Watch, 2019 (en anglais).
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Dernière actualisation : septembre 2019
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