Nouvelles
24 novembre 2020
Comment pourrait-on faire de la politique commerciale de l’Union européenne un outil de promotion des systèmes alimentaires durables ?
Pour beaucoup, « commerce et durabilité » est un oxymore qui associe ce que l’on a pris l’habitude d’appeler les mondes « d’avant » et « d’après ». Celui « d’avant », bien réel, a vu une multiplication prodigieuse des échanges commerciaux mondiaux entre le début du XVIIIe siècle et aujourd’hui [lire]. Le second, celui « d’après », qui est souvent opposé à l’hyperconsommation et au commerce lointain et décliné en invoquant la consommation locale et les circuits courts, reste encore un rêve dont on a de bonnes raisons de craindre qu’il vire au mythe, comme l’augure notre quasi-stagnation sur le chemin menant vers plus de durabilité.
Dans le domaine du commerce international, l’Union européenne a, depuis sa création, adopté une approche fondée sur le libre-échange interne (entre ses États membres) et externe (avec le reste du monde) dans le cadre d’accords qui donnent une haute priorité à la dimension économique, tempérée par des normes de qualités et sanitaires afin de protéger ses citoyens consommateurs et ses entreprises.
Nous avons déjà évoqué ailleurs [lire] comment l’Union européenne avait, en commettant une faute politique historique, gaspillé l’occasion de contribuer à modeler un monde plus durable, notamment plus social et plus respectueux de l’environnement, en choisissant de ne pas exploiter sa puissance commerciale et d’investissement pour façonner un monde cohérent avec son discours sur le développement et les principes sous-tendant le traité de Rome.
Le Panel international d’experts sur les systèmes alimentaires durables (IPES-Food) vient de publier, en collaboration avec le Centre européen de gestion des politiques de développement (ECDPM), une note d’information (en anglais) sur ce que pourrait être une politique commerciale de l’Union favorable à l’émergence de systèmes alimentaires durables.
Partant du fait que l’Union européenne est le plus grand importateur de nourriture au monde, la note formule des recommandations sur la manière dont l’Union pourrait stimuler et apporter des incitations à des partenaires commerciaux adoptant des pratiques durables. Elle envisage principalement l’application de règles sectorielles et de normes de durabilité qui permettraient de faire la promotion de l’importation de produits durables et de restreindre l’importation de produits illégaux ou non durables.
Les quatre principes fondamentaux avancés sur lesquels cette politique reposerait sont :
•La cohérence des politiques de l’Union, notamment des politiques commerciales et non commerciales, des politiques internes des pays membres et des politiques à l’égard des partenaires (en particulier des politiques de coopération), qui devraient toutes être favorables au développement durable et aux systèmes alimentaires durables ;
•La mise en œuvre progressive des nouvelles approches avec les partenaires les plus réceptifs ;
•Le recours à des processus participatifs et inclusifs de partenariat pour assurer une adhésion et une appropriation par les partenaires ;
•L’adoption explicite de la durabilité comme l’objectif suprême guidant l’ensemble des politiques de l’Union, ce qui demanderait entre autres de faire une discrimination claire entre commerce de produits durables et commerce de produits non durables, à l’aide de subventions ciblées, de normes et de dispositifs de certification et de traçabilité, ce qui pourrait créer quelques difficultés par rapport aux règles de l’OMC en vigueur.
La mise en œuvre, ajoute la note, pourrait, par exemple, reposer sur :
•Des accords spécifiques de coopération portant notamment sur des objectifs tels que zéro déforestation, zéro perte de biodiversité, tolérance zéro envers le travail des enfants et neutralité carbone. Ces accords pourront tirer les enseignements des actions pilotes déjà en cours, en particulier en ce qui concerne le cacao [lire];
•Des cadres commerciaux préférentiels en faveur de produits qui sont durables ou qui ont un effet positif sur la santé des consommateurs ;
•L’inclusion de l’objectif de durabilité dans les accords commerciaux, appuyé par des dispositifs adaptés, comme une utilisation effective des méthodes d’évaluation d’impact sur le développement durable (EID) conçue par l’Union.
Du point de vue de lafaimexpliquee.org, ces recommandations vont dans le bon sens et elles devraient être appliquées également à tous les accords commerciaux déjà en cours, qui devraient être revus afin de les rendre pleinement cohérents avec les principes proposés.
La balle, maintenant, est dans le camp des politiques (le Parlement européen, la Commission européenne et les autorités des pays membres), et c’est là probablement où le bât blessera. La question est : les gouvernements des pays membres vont-ils parvenir à s’entendre et s’unir pour mettre cette approche en œuvre ? Y aura-t-il une pression suffisante de la part de l’opinion publique pour que le personnel politique saute le pas ?
On peut le souhaiter ardemment… tout en doutant qu’un tel accord se fasse sans perdre quelques éléments essentiels proposés par la note de l’IPES-Food, ce qui ébranlerait le caractère effectif de l’orientation de la politique commerciale de l’Union vers la promotion de systèmes alimentaires durables.
À suivre…
—————————————
Pour en savoir davantage :
•F. Rampa et al., EU trade policy for sustainable food systems, Briefing note, IPES-Food/ECDPM, 2020 (en anglais).
Sélection de quelques articles parus sur lafaimexpliquee.org liés à ce sujet :
Dernière actualisation : novembre 2020
Pour vos commentaires et réactions : lafaimexpl@gmail.com