Nouvelles
21 septembre 2016
100 000 morts prématurées en Asie du Sud-Est: nous sommes tous responsables, mais nous préférons détourner notre regard
Historiquement, les sociétés ont souvent (toujours ?) eu besoin d’un ennemi extérieur pour leur donner leur cohésion. Les anciens Grecs ont lutté longuement contre les Perses, les Romains se sont mobilisés pendant des siècles contre les Barbares, le “Monde Libre“ s’est unifié durant des décennies contre le communisme, et aujourd’hui la “Communauté internationale” lutte contre le prétendu état islamique et Bachar El-Assaad au Moyen Orient. La lutte contre un ennemi permet parfois à certains régimes de survivre voire de prospérer en créant l’unité nationale face à l’ennemi extérieur, tel aujourd’hui le régime Erythréen face à l’Ethiopie. Quand il est intérieur, l’ennemi peut aussi aider à amener au pouvoir, et les y maintenir, des forces politiques parmi les plus abjectes : le nazisme contre les Juifs hier, et demain, peut-être, les extrémistes racistes et xénophobes contre les Musulmans. Et la presse de nos jours est largement dominée par cette lutte contre l’ennemi. Ainsi, elle regorge de récits relatant les horreurs perpétrées par les ennemis du jour : centaines de milliers de morts en Syrie, massacres et viols au Moyen Orient, agressions sexuelles en Allemagne… Dans tout ces cas, des voix s’élèvent promptes à trouver des solutions qui souvent se résument à l’élimination des ennemis par la force.
Mais qu’en est-il des morts dont nous sommes responsables ? Nous ? Responsables de morts ? direz-vous. Ce n’est pas possible ! Et pourtant, chaque année plus de 5 millions de personnes meurent de faim, deux tiers d’entre elles des enfants, soit entre 15 000 et 20 000 personnes par jour ! Et nous en sommes tous responsables : il suffit de parcourir lafaimexpliquee.org si vous n’en êtes pas convaincus.
Mais qui a mis en première page de leur journaux papier ou en ouverture de leurs informations radiophoniques ou télévisées les 100 000 morts prématurées résultant des incendies en Asie du Sud-Est, l’automne dernier ? Bien peu de médias. Pourtant, ces dizaines de milliers de morts qui se sont produites en à peine quelques semaines, il y a moins d’un an : nous en sommes tous responsables mais nous en détournons nos regards.
En effet, pourquoi ces personnes sont-elles mortes ? Elles sont mortes parce que nous acceptons de consommer de huile de palme bon marché dont la production a entraîné ces incendies gigantesques qui ont empoisonné des millions de personnes en Asie [lire], cette huile de palme qui se retrouve dans un grand nombre de produits que nous achetons chaque jour. Ces personnes sont aussi mortes pour assurer que les investisseurs qui ont mis leur argent dans les grandes compagnies qui produisent, transforment et vendent l’huile de palme, fassent des profits et les redistribuent à leurs actionnaires, y compris aux fonds de pension, à nos assurance-vie et autres produits financiers dont les plus aisés d’entre nous sommes friands. Certes, les incendies sont dus au fait que l’Indonésie, classée 88e pays sur 167 par Transparency International en 2015 pour ce qui est de la corruption, n’applique pas les lois qu’elles s’est édictée et que les grandes compagnies internationales dissimulent leurs pratiques intolérables qui sont nocives pour l’environnement et violent les droits des populations locales. Mais c’est notre consommation aveugle qui en est la cause initiale, sans laquelle tout ce système ne pourrait exister.
Et celui ou celle qui oserait parler de ces questions, si loin de nos préoccupations journalières, lors des campagnes électorales (en France, aux Etats-Unis ou en Allemagne) se verrait regardé par la plupart comme étant ‘à côté de la plaque’ et risquerait sans doute de commettre un suicide politique. Et pourtant, les injustices de ce monde et la grande pauvreté d’une partie considérable de la population mondiale dont nous sommes au moins en partie responsables, ne sont-elles pas souvent la cause profonde des grandes tensions internationales, de l’extrémisme, du terrorisme, des guerres et des migrations internationales ?
Les solutions à ces questions existent et sont entre nos mains, car nous en sommes les responsables. Ainsi, nous pourrions facilement stopper les incendies en Asie du Sud-Est et nous pourrions mettre un terme à la faim dans le monde, en faisant ce qui pour nous, serait un tout petit effort. Voilà des idéaux qui pourraient nous mobiliser et mobiliser notre jeunesse et la détourner des idéaux mortifères qui leur sont proposés.
Ou alors préférons-nous continuer à nous occuper des problèmes qui, croit-on faussement, peuvent être résolus à coup de mesures de sécurité, de murs, de clôtures et de guerre, et éviter de remettre en cause notre comportement coupable ?
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Pour en savoir davantage:
-France 24, Fumées de feux de forêt: 100.000 décès prématurés en Asie du Sud-Est, 2016
-Koplitz et al., Public health impacts of the severe haze in Equatorial Asia in September–October 2015: demonstration of a new framework for informing fire management strategies to reduce downwind smoke exposure, Environmental Research Letters 11 (2016) 094023
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Dernière actualisation: septembre 2016