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Dernière actualisation: mars 2013

17 février 2013


Réforme bancaire, spéculations sur l’alimentation et faim: quel impact peut-on attendre?


Maintenant que la loi sur le mariage pour tous a été approuvée en première lecture par l’Assemblée Nationale, les médias commencent enfin à parler de la réforme bancaire... pour reconnaitre que si, comme le prétend le ministre de l’économie et des finances, la réforme proposée qui est la première en Europe à s’inspirer du Rapport Liikanen qui avait été présenté à la Commission Européenne en octobre 2012, elle reste encore bien modeste quant à l’ampleur des mesures préconisées et à l’impact qu’on peut en attendre.


Le Rapport Liikanen proposait cinq trains de mesures:

    1. La séparation dans une entité juridique distincte, au-delà d’un certain volume, des activités de spéculation des autres activités (dépots/prêts) des banques

    2. La nécessité pour les banques d’avoir des plans de redressement réalistes pour faire face à des difficultés éventuelles

    3. L’affectation d’un volant de dettes important en vue du renflouement interne des banques (pour que les banques puissent se sortir d’un mauvais pas d’elles-mêmes sans avoir recours à une aide publique comme cela avait été souvent le cas en 2008/2009)

    4. L’augmentation de la pondération des risques dans le calcul des fonds propres que chaque banque doit avoir pour faire face à des difficultés éventuelles

    5. Des mesures relatives à la gestion des banques, la rémunération du personnel et les sanctions.




  1. La réforme envisagée par le gouvernement français reprend à son compte (i) la séparation des activités spéculatives propres de la banque (et non celles effectuées pour le compte de clients) dans le cadre d’une filiale à laquelle l’utilisation des instruments de trading ultra rapide et certaines activités spéculatives, notamment sur les matières premières alimentaires seront interdites, (ii) le renforcement des mécanismes internes aux banques pour faire face à des difficultés éventuelles sans avoir recours à l’aide de l’Etat, et (iii) un dispositif de surveillance accrue du système bancaire national dans son ensemble.


Tant les ONGs que certains parlementaires de gauche (y compris socialistes) ont trouvé cette proposition trop timide et en retrait des propositions faites lors de la campagne présidentielle de 2012. Les banques elles-mêmes ont avoué que cette réforme n’affecterait que très marginalement leurs activités spéculatives (on parle de 0,75 à 2% du volume des fonds engagés). Selon l’ONG internationale Finance Watch basée à Bruxelles, seul 22 % des actifs bancaires français sont consacrés aux crédits aux ménages et aux entreprises non-financières, les 78% restant servant à financer les entreprises et à la spéculation. L’ONG souligne également la contradiction du gouvernement français qui prétend séparer les activités spéculatives des banques de leurs activités de dépôt tout en ne remettant pas en cause le modèle de banque universelle qui consiste précisément à ne pas séparer les activités de crédit et de dépôts des activités spéculatives...


Quelle serait l’effet de cette réforme sur la spéculation sur les matières premières alimentaires et sur la faim?


Le rapport d’Oxfam intitulé «Réforme bancaire : ces banques françaises qui spéculent sur la faim» montre que «les banques françaises possédaient au moins 18 fonds participant à la spéculation sur les produits dérivés des matières premières, pour une valeur de près de 2,6 milliards d’euros». Ce montant, bien qu’important, ne représente cependant que moins de 1% de la valeur des produits dérivés des matières premières agricoles dans le monde, dont le montant estimé est passé de 100 milliards de dollars (environ 75 millions d’euros) en 2005 à 400 milliards de dollars (300 milliards d’euros) à la fin de 2011, selon un rapport de SOMO, un institut de recherche indépendant situé au Pays-Bas. A titre de référence on estimait que l’ensemble du capital financier mondial se montait à 700.000 milliards de dollars en 2011, à comparer aux 18.000 milliards de dollars d’exportations mondiales et au 60.000 milliards de dollars de PIB mondial. Le commerce agricole mondial, pour sa part, se montait à environ 1100 milliards de dollars en 2011.


On dispose à présent d’un nombre croissant d’études montrant que la spéculation financière a eu un impact sur la volatilité des prix agricoles au niveau mondial. Il faut cependant se garder de conclure que la spéculation financière est l’une des causes principales de la faim dans le monde. En effet certaines études récentes, notamment par la FAO, insistent sur le fait que l’augmentation de la volatilité observée récemment sur les marchés globaux (Chicago, etc.), ne doit pas être confondue avec la volatilité observé au niveau national dans les pays où il y a une forte proportion de la population qui souffre de la faim, notamment en Afrique, et dont les marchés sont le plus souvent déconnectés du marché mondial pour toute une série de raisons. Ainsi, on observe que la volatilité des prix dans certains pays africains est en fait supérieure à celle observée ailleurs dans le monde pour des raisons résultant des conditions internes à ces pays. [lire Crises alimentaires] Par contre cette volatilité «globale» affecte très certainement les prix dans les pays fortement ouverts au marché mondial, notamment les pays émergents et riches.


La réforme bancaire française ne changera donc pas grand chose à la spéculation financière et notamment à la spéculation sur les matières premières agricoles, et encore moins sur le nombre de personnes souffrant de la faim dans le monde. Ce n’est qu’un tout petit pas dans la bonne direction, mais il faudra bien autre chose pour que la vie change pour ceux qui se couchent tous les soirs le ventre creux.


Pour en savoir plus

  1. -L’analyse de Finance Watch

  2. -Un article de Bastamag sur le projet de réforme bancaire

  3. -Le rapport de SOMO sur la finance et les marchés agricoles (en anglais seulement)