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16 novembre 2014
Deuxième Conférence internationale sur la nutrition : les vrais problèmes seront-ils évoqués et que peut-on en attendre ?
Du 19 au 21 novembre prochain se tiendra à Rome la Deuxième Conférence internationale sur la nutrition. Plus de 20 ans après la première Conférence internationale sur la nutrition, tenue en décembre 1992, le problème de la malnutrition reste très préoccupant, même s’il a changé un peu de nature et demande donc des solutions différentes de celles qui avaient été proposées alors. En effet, plus de la moitié de l’humanité mange mal aujourd’hui: environ 1 milliard ne mange pas suffisamment, 2 milliards souffrent de carences en vitamines et en oligoéléments, et 1,5 milliard sont suralimentés.
Quand on relit la Déclaration de 1992, on y retrouve toute une série d’engagements qui cherchaient à réduire la faim et la sous-nutrition dans le monde en s’attaquant aux problèmes qui limitent l’accès à une alimentation adéquate et qui provoquent des maladies freinant l’assimilation de l’alimentation absorbée. On y voit aussi un espoir dans le développement du commerce, au moment où l’on négociait encore les accords qui allaient amener à la création de l’OMC en 1995. A l’époque on comptait à peine 200 millions de personnes sous-alimentées de plus qu’aujourd’hui (les estimations d’alors, qui ont été révisées entre temps, étaient très proches des estimations actuelles: 780 millions alors contre 805 millions aujourd’hui), et le nombre de personnes souffrant de carences était comparable. Mais on ne s’était pas intéressé jadis à la question de la suralimentation qui était encore principalement cantonnée dans les pays riches, alors qu’aujourd’hui elle est également fortement présente dans les pays pauvres, créant ainsi ce que l’on appelle désormais le «double fardeau» (la sous-alimentation et la sur-alimentation). Les objectifs qui avaient alors été fixés comprenaient:
-L’accès par tous à des produits alimentaires sûrs et adaptés à un régime alimentaire adéquate du point de vue nutritionnel
-La santé et le bien-être nutritionnel pour tous
-Un développement durable du point de vue environnemental et social qui contribue à une meilleure alimentation et santé
-L’élimination des famines et des morts qu’elle occasionne.
La Déclaration qui sera approuvée par la Conférence la semaine prochaine, reconnait que la situation nutritionnelle résulte d’une série de facteurs tels que la pauvreté, l’impossibilité d’avoir accès à une alimentation suffisante et adéquate, des pratiques alimentaires inappropriées des populations, de maladies, de changements socio-économiques et environnementaux, ainsi que des conflits et événements climatiques. Elle accorde un rôle positif au commerce international qu’elle aimerait cependant voir plus équitable tout en préservant les lois du marché. Sur cette base, elle avance quelques principes qui devraient guider les pays dans la lutte pour une meilleure nutrition : favoriser une alimentation plus équilibrée, saine et variée, une meilleure coordination, l’interdiction de l’utilisation de l’alimentation comme instrument de pression politique et économique, un cadre législatif déterminant le «bon usage des produits agrochimiques», le développement de systèmes d’information adaptés, le soutien à l’action des consommateurs, notamment. Elle reconnait aussi les conséquences négatives de l’instabilité des prix alimentaires et liste une longue litanie d’actions qu’il faudrait prendre.
Pour ce qui est des engagements, ils portent sur l’élimination de la faim et la prévention de la malnutrition sous toutes ses formes, le renforcement des systèmes alimentaires durables, une attention plus grande à la nutrition dans les stratégies, politiques, plans d’action et programmes nationaux pertinents, et une plus coopération internationale renforcée.
Le cadre d’action, qui accompagne la Déclaration fait soixante recommandations détaillées sur les politiques et programmes à mettre en place qui cherchent à créer un environnement favorable à une action efficace en faveur de la nutrition et appuyer des systèmes alimentaires durables pour des régimes sains. Ces recommandations portent également sur plus d’une dizaine de domaines (commerce, investissement, éducation et information nutritionnelle, protection sociale, services de santé, allaitement au sein, dépérissement, retards de croissance, excès de pondéral, anémie, eau et hygiène, sécurité sanitaire des aliments et reddition des comptes). Malgré cet apparent détail, les recommandations se limitent à des objectifs certes spécifiques, mais elles disent très peu sur les instruments (et en particulier les instruments de politique) qui devraient être utilisés pour les atteindre. Rien ainsi n’est dit, concrètement, sur ce qui devrait être fait pour encourager une production durable de produits sains (et ce qui devrait être fait pour décourager la production non durable de produits malsains...).
On peut donc constater que la grand-messe qui se tiendra à Rome la semaine prochaine entérinera une déclaration et un plan d’action qui se fondent avant tout sur un énoncé de grands principes reposant sur un diagnostic très technique de la situation nutritionnelle mondiale et qui manqueront de la précision requise pour être effectifs.
On aurait pourtant pu s’attendre à ce que ces documents analysent clairement ce qui a vraiment changé dans le système alimentaire mondial depuis 1992, notamment l’extraordinaire développement du commerce international lié au déplacement de la production et de la transformation de l’alimentation, l’industrialisation accélérée et la phénoménale concentration de la production, de la transformation et de la commercialisation de l’alimentation dans les mains d’un petit nombre de grands groupes privés qui a abouti à ce que ces entreprises géantes contrôlent effectivement ce système tout en en dictant les règles de fonctionnement et en inondant le marché de produits alimentaires transformés riches en graisses, sucre, sel et additifs divers dont on connait mal les conséquences sur la santé des consommateurs. Sur tout cela, rien ou presque, et certainement rien dans la déclaration ou le plan d’action qui puisse s’assurer que les actions des états arriveront vraiment à avoir l’effet recherché, dans la mesure où ils sont loin d’être la force principale agissant aujourd’hui sur le système alimentaire. Rien sur une réglementation au niveau international qui seule, en se plaçant au même niveau que les principales forces agissant sur le système alimentaire mondial, pourrait avoir un effet sur son évolution. Rien non plus sur le foisonnement actuel d’accords commerciaux inéquitables ni sur la nécessité d’investir au niveau des fermes familiales (nous arrivons aux derniers jours de l’Année internationale de l’agriculture familiale!).
En préalable à la Conférence, se tiendront une réunion de la société civile (les 17 et 18 novembre), une réunion des parlementaires (18 novembre) et une réunion du secteur privé (18 novembre). Les représentants de la société civile ont fortement - et justement - critiqué le fait que la société civile et le secteur privé soient logés à la même enseigne dans le processus de la Conférence, estimant que l’on ne peut mettre au même niveau les centaines de millions de victimes du système alimentaire mondial avec ceux qui en tirent les ficelles et les bénéfices. Le secteur privé, quant à lui, demande à ce que son rôle soit mieux reconnu, notamment dans le domaine des investissements et de l’innovation technologique, à ce que l’on reconnaisse le rôle important de la fortification des aliments (compléments alimentaires fabriqués par l’industrie) et que les partenariats public-privé soient encouragés dans le secteur de l’alimentation. Ces réunions permettront à ces trois groupes de donner une dernière touche à leur déclaration devant la Conférence.
Que peut-on attendre de la conférence qui se tiendra la semaine prochaine autre que des promesses qui risquent fort de ne pas être tenues tout simplement parce que la dynamique véritable du système alimentaire mondial dépasse largement le cadre national ?
Peu de choses, à vrai dire, si ce n’est une utile remise sur le devant de la scène du problème de la nutrition et donc une sensibilisation accrue de tous, gouvernements et populations à la question de la nutrition et de la santé.
Il sera intéressant de voir combien de chefs d’État seront présents à la Conférence, et notamment combien de chefs d’État du G20 qui viennent de se rencontrer en Australie s’arrêteront à Rome. Ce sera là un bon indicateur sur l’importance réelle de cette Conférence.
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Dernière actualisation: novembre 2014
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