Nouvelles
16 mai 2019
Une recherche scientifique sous l’influence des intérêts privés (Saison 2) : sucre et exercice physique
En 2016, nous avions déjà attiré l’attention de nos lecteurs sur l’influence croissante des intérêts privés sur la recherche scientifique et la nécessité d’une mobilisation accrue de ressources publiques pour assurer une recherche publique indépendante. Nous avions alors encouragé nos lecteurs à exercer leur esprit critique face à certaines publications scientifiques quand elles sont financées par des fonds privés. [lire]
Depuis lors, les preuves se sont multipliées des efforts faits par de puissants intérêts privés pour orienter la recherche scientifique dans une direction qui leur soit favorable. Par exemple, la multinationale Coca-Cola, qui abreuve le monde de quantités énormes de sucre responsables de l’augmentation de l’obésité et de maladies du foie (entre autres), finance un groupe de chercheurs dans le cadre du Global Energy Balance Network (GEBN - Réseau mondial pour l’équilibre énergétique) dont l’objectif est « d’identifier et de mettre en œuvre des solutions innovantes - fondées sur la science de l’équilibre énergétique - pour prévenir et diminuer les maladies associées à l’inactivité, une mauvaise alimentation et l’obésité ». Ces scientifiques sont ainsi mobilisés pour influencer les consommateurs par un discours pseudoscientifique rassurant qui fait croire qu’il y a moyen - notamment en faisant plus d’exercice - de continuer à boire de grandes quantités de boissons sucrées sans en subir les conséquences du point de vue de la santé. C’est le cas en Chine, par exemple, où Coca-Cola influence les politiques nutritionnelles par l’intermédiaire de la branche chinoise de l’ILSI (The International Life Sciences Institute - Institut international des Sciences de la vie) qu’il finance [lire en anglais].
En France, selon un récent article paru dans Le Monde, Coca-Cola a, depuis 2010, abreuvé des scientifiques français de 8 millions d’euros pour obtenir leur coopération afin de maquiller des opérations marketing en recherche scientifique.
Aux États-Unis, Coca-Cola a notamment financé un « éminent » scientifique dont les travaux ont servi de base à la rédaction des directives fédérales relatives à l’activité physique au cours de ces 25 dernières années, tandis que plusieurs multinationales de l’agroalimentaire comme Kraft Foods, McDonald’s, PepsiCo et Hershey’s finançaient la Société américaine pour la nutrition (American Society for Nutrition) et l’Académie pour la nutrition et la diététique (Academy of Nutrition and Dietetics) [lire en anglais].
Mais ce n’est là que la continuation d’une tradition vieille de plus de cinquante années pendant lesquelles les industriels du sucre ont tout fait pour tromper le public et influencer les directives de santé publique à leur profit [lire].
Une étude publiée récemment sur la revue Journal of Public Health Policy (Journal de politique publique de santé) montre à travers l’exemple de Coca-Cola comment les multinationales, en signant des accords de recherche avec des organismes publics aux États-Unis et au Canada, influencent et exercent un contrôle sur la recherche. Les auteurs ont trouvé que, par ces accords, Coca-Cola s’arrogeait « le droit d’examiner le travail de recherche avant sa publication ainsi que celui d’exercer un contrôle sur (1) les données utilisées dans l’étude, (2) la divulgation des résultats et (3) la reconnaissance du financement obtenu de la part de Coca-Cola. » Selon les cas, Coca-Cola dispose également du droit d’empêcher la publication de résultats éventuellement défavorables.
On voit donc clairement que les accords de financement de recherche par les multinationales peuvent contenir des clauses qui, en restreignant la liberté des chercheurs, exercent de l’influence sur les résultats de la recherche. En effet, quand on connaît l’importance pour leur carrière du nombre de publications faites par les chercheurs dans des revues professionnelles reconnues, on imagine mal comment ces mêmes chercheurs pourraient prendre le risque de consacrer leur temps de recherche à un travail dont les résultats courraient le risque de ne pas être publiés, du fait de l’accord avec l’organisme l’ayant financé. Ils ont donc tout intérêt à trouver et publier des résultats qui vont dans le sens de ceux qui les financent, dans l’espoir de bénéficier d’autres financements à l’avenir, cela d’autant plus que les multinationales peuvent également exercer une influence considérable sur certains journaux ; cette influence pourrait même, dans certains cas, aller jusqu’à s’assurer que lesdits journaux n’acceptent plus de publier à l’avenir tel ou tel chercheur « indélicat ».
Nous ne pouvons ici que réitérer l’importance d’avoir un budget public suffisant pour la recherche scientifique afin d’en assurer l’indépendance et, au minimum, que les États développent une réglementation spécifiant les contrats types de financement autorisés en vue de protéger la qualité et l’indépendance des travaux de recherche soutenus par une source privée.
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Pour en savoir davantage :
•Horel, S., Enquête sur la science sous influence des millions de Coca-Cola, Le Monde, 2019.
•Horel, S.., Comment Coca-Cola a bafoué ses promesses de transparence dans les contrats de recherche, Le Monde, 2019.
•Boseley, S., Coca-Cola influences China’s obesity policy, BMJ report says, The Guardian, 2019 (en anglais).
•Steele, S., et al., “Always read the small print”: a case study of commercial research funding, disclosure and agreements with Coca-Cola, Journal of Public Health Policy, 2019 (en anglais).
•Foucart, S., La lente prise de conscience du poids de l’argent sur la recherche, Le Monde, 2018.
•O’Connor, A., Coca-Cola Funds Scientists Who Shift Blame for Obesity Away From Bad Diet, New York Times, 2015 (en anglais).
Sélection d’articles récents déjà parus sur lafaimexpliquee.org liés à ce sujet :
•Les manipulations de l’industrie sucrière révélées par trois chercheurs californiens, 2017.
•Opinions : Recherche édulcorée, recommandations sirupeuses, par Jomo K. Sundaram et Tan Zhai Gen, 2017.
•Une recherche scientifique sous l’influence des intérêts privés, 2016.
ainsi que d’autres articles de notre rubrique « Recherche ».
Dernière actualisation: mai 2019
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