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Recherche édulcorée, recommandations sirupeuses*


par Jomo Kwame Sundaram** et Tan Zhai Gen***



En 2015, le responsable scientifique de Coca-Cola fut forcé de démissionner suite à des révélations relatives au financement par cette compagnie de chercheurs pour qu’ils présentent des articles de recherche recommandant de l’exercice physique en vue de traiter les problèmes d’obésité et de mauvaise santé, et minimisant le rôle de la consommation alimentaire. Coca-Cola, le plus grand producteur au monde de boissons sucrées avait donné des millions de dollars pour financer des chercheurs pour sous-estimer les liens existant entre le sucre et l’obésité, les caries dentaires et les maladies chroniques non transmissibles.




Une recherche corrompue.


Ce n’était là rien de bien nouveau. En septembre 2016, un article du New York Times avait mis en évidence un travail de recherche paru dans la revue médicale JAMA Internal Medicine qui montrait que l’industrie du sucre avait payé des scientifiques pour des travaux similaires au cours des années 1960.


La Sugar Research Foundation (Fondation pour la recherche sur le sucre), connue à présent sous le nom de Sugar Association avait payé trois scientifiques de Harvard pour publier en 1967 une analyse des travaux de recherche sur les maladies liés au sucre, aux matières grasses et au cœur, sélectionnés par la Fondation, dans le prestigieux New England Journal of Medicine (NEJM). Un total de 6 500 dollars (équivalent à 48 900 dollars de 2016) fut payé au Chef du département de la nutrition de Harvard et à deux collègues, y compris celui qui fut chargé de préparer les premières directives américaines sur la nutrition.


L’analyse sous-estima le lien existant entre le sucre et les maladies cardiaques et incrimina, au contraire, les matières grasses saturées. Jusqu’à récemment, les directives sur la nutrition qui suivirent s’appuyèrent sur les résultats et les recommandations en matière de politique de ces travaux. Dans la mesure où d’autres pays suivirent cette tendance, des millions de personnes se sont tournées vers des régimes alimentaires à basse composition en matière grasse mais « riches en énergie (sucre) ».


Et ce n’est pas tout. En juin 2016, Associated Press signalait que des fabricants de confiseries avaient également financé des études affirmant que les enfants qui mangent ce que les Américains appellent du « candy » (des bonbons) ont tendance à être plus légers que ceux qui n’en consomment pas.


Un article de décembre 2016 dans les très respectées Annals of Internal Medicine, rédigé par des chercheurs liés à l’industrie sucrière, prétendait que les études justifiant les récentes directives sur la consommation réduite de sucre étaient de mauvaise qualité. Alors que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et les gouvernements partout dans le monde ont commencé à faire la promotion et à mettre en œuvre des directives sur la consommation de sucre, l’article affirmait qu’il y avait peu de bases scientifiques pour s’attendre à une amélioration de la santé suite à une consommation réduite de sucre.


Mars Inc., un des principaux confiseurs au monde, s’est désolidarisé de ses compétiteurs en dénonçant ce travail financé par les industriels. Les meilleurs chercheurs dans le domaine ont dénoncé l’article dans la mesure où il ignore de nombreuses études rigoureuses et de qualité dont les conclusions sont différentes, mais le doute a été semé dans les esprits avec pour conséquence l’idée que le sucre n’est peut-être pas si mauvais, après tout, puisqu’il n’y a pas de « consensus scientifique » sur le sujet. Des arguments du même type ont aussi été invoqués pour essayer de discréditer le quasi-consensus sur la cause anthropique de l’accélération du réchauffement climatique.


Le sucre provoque l’obésité.


Le sucre, le sirop de maïs et la plupart des édulcorants sont une source mineure de glucides, catégorie essentielle de nutriments et d’énergie dont la valeur se mesure en calories ou en joules. La plus grande partie de notre consommation de glucides provient d’aliments de base tels que le riz, les pommes de terre et le blé. Les sucres sont des glucides plus simples, absorbés par le corps plus rapidement et à des doses plus élevées.


Quand nous consommons trop de nourriture riche en glucides, l’excès de glucide qui n’est pas utilisé par le corps, par exemple à l’occasion d’une activité physique, est transformé et transporté par les vaisseaux sanguins sous forme de glucose (connu sous le terme de glycémie), puis transformé en graisses. Par conséquent, trop de glucides – y compris de sucre – dans notre alimentation provoquent l’obésité et le diabète.


La meilleure façon d’éviter l’obésité est en limitant l’apport calorique, c’est-à-dire la quantité de nourriture que nous consommons, et d’augmenter notre dépense énergétique par l’activité physique. La publicité faite à la recherche financée par l’industrie alimentaire en vue d’absoudre le sucre fait partie d’un effort plus vaste de relations publiques visant à induire en erreur le public dans monde entier.


Les régimes alimentaires sont des facteurs importants de la qualité de la vie, tout particulièrement de la santé. Une bonne santé diminue les dépenses de santé et contribue également à augmenter la productivité. Une alimentation équilibrée et modérée, un régime alimentaire diversifié et l’activité physique contribuent à la santé et au bien-être.


Un danger pour les pays en développement


Les problèmes de santé découlant de la surconsommation de glucides, en particulier du sucre, sont corrélés à l’augmentation du surpoids et des maladies non transmissibles, telles que le diabète, partout dans le monde. Au cours de la seconde moitié du XXe siècle, ces phénomènes étaient communément associés à la richesse et aux États-Unis.


Depuis le début du XXIe siècle, le problème s’est propagé dans beaucoup de « pays à revenu intermédiaire », d’abord principalement au Mexique et en Amérique Centrale. Ces changements sont de plus en plus associés à un changement de style de vie, de comportement et de culture qui accompagne l’urbanisation, la mécanisation et la transformation de la nature du travail.


En Asie, la Malaisie a la plus forte proportion de personnes en surpoids et obèses. En 2014, 43,8 % des hommes et 48,6 % des femmes de plus de 20 ans étaient en surpoids, parmi lesquels beaucoup étaient obèses. Le taux de diabète est passé de 11,6 % en 2006 à 15,2 % en 2011 et 17,9 % en 2015. La suppression récente de la subvention sur le sucre semble avoir eu peu d’impact sur la consommation de ce produit, ce qui souligne la nécessité de mesures d’intervention non-marchandes.



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*     Publié initialement sur Interpress Service, le 22 mars 2017, sous le titre « Sweetened Research, Sugared Recommendations » http://www.ipsnews.net/2017/03/sweetened-research-sugared-recommendations/

**   Jomo Kwame Sundaram, ancien professeur d’économie, a été Assistant Secrétaire Général des Nations Unies pour le développement économique, Assistant Directeur Général de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et a reçu le Prix Wassily Leontief pour avoir fait avancer les frontières de la pensée économique en 2007.

***  Tan Zhai Gen est stagiaire au Khazanah Research Institute de Kuala Lumpur, Malaisie.



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Sélection d’articles déjà parus sur lafaimexpliquee.org et liés à ce sujet :


  1. -Une recherche scientifique sous l’influence des intérêts privés, 2016

  2. -Les conséquences de la crise alimentaire de 2007-2008 : le coût social et économique non comptabilisé de la résilience, 2016

  3. -Pour réduire la consommation de sucre, le surpoids et les maladies qui leur sont liées, 2015

  4. -Les politiques de prix peuvent contribuer à la promotion d’une alimentation plus saine : l’exemple de l’Europe, 2015

  5. -Aux États-Unis, le secteur agricole et alimentaire industriel a dépensé des centaines de millions de dollars pour influencer les médias, les consommateurs et les politiques publiques. Qu’en est-il en Europe ?, 2015

  6. -Le système agricole et alimentaire international à la recherche d’une bonne image, 2013

 

Dernière actualisation: mars 2017

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