Nouvelles
11 janvier 2014
L’Afrique, avenir de la France?
Le volumineux rapport (501 pages) du groupe de travail du Sénat français sur «la présence de la France dans une Afrique convoitée», rendu public peu avant le sommet Afrique-France de décembre 2013, annonce des changements profonds dans la relation entre la France et l’Afrique. Cette relation s’était traduite par une longue période de coopération qui a fait suite aux indépendances, où l’Afrique francophone (le «pré carré») était au centre du dispositif français. Par la suite, au cours de la première décennie du XXIème siècle, il y eut un désengagement progressif de la France (illustré par le fameux « La France n’a plus besoin économiquement de l’Afrique » de N. Sarkozy) sans doute dû à une préférence donnée au marché asiatique, réputé plus porteur et moins risqué. Il semble à présent que la France veuille se réengager en Afrique selon des principes nouveaux.
Si l’on en croit les 10 priorités et 70 mesures présentées en début de rapport, cet engagement se fonde sur un intérêt partagé et une volonté de la France de renforcer ses liens économiques avec une «Afrique qui décolle».
Le diagnostic est clair: l’Afrique sera le continent du XXIème siècle. Avec une population de plus d’un milliard d’habitants en 2014 (dont la moitié ont moins de 15 ans), appelée à passer à près de 2 milliards vers 2050, l’Afrique est un géant potentiel aux portes de l’Europe. De son succès ou de son échec dépendra en grande partie l’avenir de l’Europe et donc de la France. Il s’agit par conséquent pour la France de reprendre une place importante en Afrique pour influencer le développement du continent tout en se plaçant au mieux sur un marché en plein essor. Il en va de la stabilité et de la croissance économique. Bien documenté, le rapport passe en revue de façon détaillée la situation et les perspectives du continent africain, tout en soulignant ses forces et ses faiblesses.
Pour retrouver une place plus importante en Afrique, la France devra, selon le rapport, dépoussiérer ses relations avec le continent, restructurer son appareil de coopération en donnant une place encore plus prépondérante à l’AFD, et oser affirmer de façon décomplexée que son objectif est la promotion de ses intérêts sur le continent (notamment en terme d’approvisionnement en matières premières), comme n’hésitent pas à le faire les Etats-Unis, l’Allemagne et le Japon, par exemple.
Dans un premier temps, il s’agira de renforcer le soutien aux entreprises françaises dans les pays africains les plus dynamiques, de promouvoir l’expertise française et de faciliter les études de jeunes africains en France. Cela permettra de « déployer dans ce continent des normes, des habitudes et des valeurs qui peuvent [lier la France] aux pays africains et favoriser les échanges à la fois intellectuels et commerciaux» et de mieux concurrencer les entreprises des pays émergents dans les domaines porteurs découlant directement de la croissance démographique, de l’urbanisation accélérée et de l’émergence attendue d’une classe moyenne africaine. Il s’agit principalement de la construction de logements et d’infrastructures de base (pour l’approvisionnement en électricité et en eau, l’assainissement, les routes et les ponts, les immeubles d’affaires) et d’infrastructures économiques (marchés, gares, zones commerciales et industrielles), du tourisme et des télécommunications. Parmi les normes soulignées par le rapport, on trouve en bonne place les normes sociales et environnementales qui doivent aussi servir de frein à la délocalisation. Il s’agit de démontrer une certaine exemplarité par rapport aux pratiques de plus en plus critiquées de certains pays émergents, afin d’augmenter l’attractivité de la France en tant que partenaire économique.
Le rapport souligne la «regrettable erreur» qu’a constitué l’abandon des secteurs sociaux par les bailleurs de fond dans les années 1990. Il reconnait que le nombre de pauvres continue d’augmenter dans un continent en croissance rapide et que l’insécurité alimentaire y reste un problème majeur. Pourtant le rapport ne fait guère de propositions très visibles dans ce domaine alors même que, d’après un sondage de fin 2012, les français pensent que la lutte contre la pauvreté et la faim devraient être les premières priorités de l’aide française. [lire]
Du point de vue de l’agriculture et de l’alimentation, le rapport se fait l’apôtre de la révolution verte en Afrique et d’une agriculture fondée sur l’utilisation intensive d’intrants chimiques [voir notre critique de cette approche]. Il soutient l’action de la Nouvelle alliance pour la sécurité alimentaire et la nutrition qui pourtant, de l’avis de beaucoup d’observateurs, entrainera l’exclusion du développement agricole de la masse des paysans pauvres africains. On peut très fortement regretter cette position qui ne servira donc pas à résoudre la question de la faim en Afrique et qui se trouve en contradiction flagrante avec la volonté de développer en France une agriculture plus écologique où les exploitations familiales sont appelées à jouer un rôle central.
Parmi les principes qui sous-tendent les relations futures entre la France et l’Afrique, celui «garantissant l’équité et la transparence des contrats miniers et énergétiques» se trouve en bonne place. Le contrat entre Areva et le Niger sur l’approvisionnement de la France en uranium pour ses centrales nucléaires, dont les négociations sont en cours et dont le processus suscite déjà de véhémentes critiques de la part de l’opinion publique au Niger et certaines ONG, sera un test qui permettra de voir si cette nouvelle approche se traduira dans les faits dès à présent.
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Dernière actualisation: janvier 2014