Les enjeux:
La bioéconomie
Enjeux
La bioéconomie
Son développement risque d’entraîner
une augmentation du prix des produits alimentaires
Qu’est-ce que la bioéconomie ?
La crise environnementale - et sa dimension la plus présente dans l’actualité, le changement climatique - remet en question le mode de fonctionnement de l’économie mondiale. Elle pointe vers la nécessité d’améliorer radicalement la durabilité environnementale des activités humaines.
L’une des directions dans lesquelles cette amélioration peut se faire est de limiter la dépendance de l’économie aux ressources non renouvelables telles que les minéraux et l’énergie fossile, et de l’orienter vers des activités fondées sur l’utilisation de ressources renouvelables d’origine biologique (biomasse). C’est cette forme d’économie que l’on appelle la bioéconomie.
L’Union européenne (UE) la définit comme « englobant la production de ressources biologiques renouvelables et leur conversion ainsi que celle de flux de déchets en produits à valeur ajoutée, tels que l’alimentation humaine et animale, les produits d’origine biologique et la bioénergie » [lire en anglais].
Comme on peut le constater à partir de cette définition, la bioéconomie fait depuis longtemps partie de l’économie. Elle en a d’ailleurs été la composante principale jusqu’à la révolution industrielle XIXe siècle qui a coïncidé avec une forte accélération de l’extraction de minerais et d’énergies fossiles.
Avec le temps, un certain nombre d’étapes (Rapport Meadows - Les limites à la croissance1 - commandité par le Club de Rome en 1972, Conférence de Rio en 1992, rapports successifs du GIEC et d’autres panels et groupes de recherches) ont abouti à une prise de conscience de la multiplicité des effets désastreux des activités humaines sur l’environnement [lire]. C’est ce constat qui a mis à l’ordre du jour le développement de la bioéconomie, surtout à partir de la deuxième décennie de ce siècle.
Trois visions de la bioéconomie
Il y a trois visions différentes principales de ce qu’est la bioéconomie [lire en anglais] :
•La première est une vision biotechnologique de la bioéconomie, centrée sur la science, qui donne la prééminence « à la recherche, l’application et la commercialisation des biotechnologies dans différents secteurs de l’économie ». Cette vision accorde la priorité à la croissance aux dépens de la durabilité, de considérations éthiques ou de la prévention des risques. Dans cette vision scientiste, fondée sur un étroit lien entre le monde de la recherche et de l’université et celui de l’industrie, la rareté des ressources n’est pas une préoccupation puisque le développement technologique est censé augmenter l’efficacité de l’industrie et limiter les pertes.
•La deuxième est centrée sur les bioressources, c’est-à-dire « les matières premières d’origine biologique dans les domaines de l’agriculture, de la mer, des forêts et des bioénergies, et la création de nouvelles chaînes de valeur ». Elle porte sur la modernisation et la remise à niveau de l’utilisation des matières premières d’origine biologique. L’accent est mis davantage sur la productivité des terres en vue d’augmenter la disponibilité de biomasse et le développement, grâce à l’innovation technologique, de nouveaux produits d’origine biologique que sur la protection de l’environnement. Cette vision risque donc d’avoir un impact négatif sur les ressources naturelles (terre, eau, forêts et biodiversité) et le changement climatique. La lutte contre les pertes et le gaspillage y est centrale, notamment à l’aide de plusieurs réutilisations successives des mêmes matériaux (recyclage), dont la destination ultime est la production d’engrais ou de bioénergie.
•La troisième est une conception bioécologique qui donne la priorité aux processus écologiques sur la croissance à tout prix, optimisant l’utilisation de l’énergie et des nutriments, préservant les services écosystémiques (cycles de l’eau et du carbone, pollinisation, etc.) et protégeant la biodiversité et les sols. L’économie cyclique et la gestion des déchets y occupent une place importante.
On voit donc qu’il n’y a pas de définition unique permettant de cerner ce qu’est la bioéconomie, puisque ce concept recouvre des visions très diverses : centrée sur les biotechnologies, fondée sur l’exploitation des ressources biologiques ou reposant sur l’optimisation et la protection des processus écologiques. Il est évident que les conséquences potentielles du développement de ces trois modèles sont très différentes.
Une étude récente par un chercheur allemand [lire en anglais] sur la demande de biomasse par l’industrie (alimentaire, du bois, de la construction, du papier, de l’habillement, de l’énergie, de la chimie, etc.) et sa disponibilité souligne qu’une totale transition de l’économie conventionnelle (basée sur l’exploitation d’énergie fossile et de minéraux) vers la bioéconomie nécessiterait un volume de carbone et d’énergie presque double de ce que produisent annuellement l’agriculture et la forêt. Partant, une telle transition exercerait une pression insoutenable sur la biomasse. Cette constatation marque une limite au développement de la bioéconomie et demande, selon l’auteur, une priorisation de ses applications et un effort soutenu de recyclage de la biomasse.
L’exemple de la bioéconomie en Europe
En 2017, la bioéconomie représentait un peu moins de 5 % du PIB (600 milliards d’euros) des 28 pays de l’Union européenne (UE/28) et un chiffre d’affaires de 2 200 milliards d’euros croissant à un rythme assez rapide (environ 10 % entre 2017 et 2018) illustrant que la bioéconomie a le vent en poupe.
À partir des statistiques disponibles, le chercheur mentionné ci-dessus montre qu’en 2017 la bioéconomie était largement dominée par l’agriculture et l’industrie alimentaire tant du point de vue de la valeur ajoutée (71 % du total) que de l’emploi (82 %). Des secteurs comme le la chimie, la pharmacie, les biocarburants et la bioélectricité sont encore marginaux (11 % de la valeur ajoutée et 2 % de l’emploi) (Fig.1), dans la mesure où l’industrie chimique et l’énergie restent fortement dépendantes de matières premières fossiles.
Fig.1 Importance relative des diverses composantes de la bioéconomie dans pays de l’UE/27 du point de vue de la valeur ajoutée et de l’emploi (2017)
Source: à partir de données tirées de Kircher, 2022.
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La majeure partie des 1313 millions de tonnes de matière sèche d’origine biologique utilisée annuellement dans l’UE/28 par la bioéconomie (moyenne calculée sur la période 2006-2015) provenait de l’agriculture et de la foresterie. Cette masse se partageait à peu près en 2/3 de produits et 1/3 de résidus. Elle contenait 560 millions de tonnes de carbone et 23,5 EJ2 d’énergie, à comparer avec les 1043 millions de tonnes de carbone et les 57,2 EJ consommés en moyenne chaque année comme énergie primaire dans l’UE/28 sur la même période.
Quelles perspectives pour la bioéconomie en Europe ?
Le Tableau 1 montre une croissance très rapide de l’utilisation de la biomasse par l’industrie de l’UE/28, surtout pour le transport routier et la production d’électricité.
Tableau 1 Croissance de l’utilisation de la biomasse
par l’industrie européenne (UE/28) sur la période 2000-2019
Source : Kircher, 2022.
Cette croissance devrait, selon toutes les prévisions, se poursuivre. Ainsi, la Commission européenne estime que la demande de biomasse pour l’énergie en 2050 devrait pratiquement être le double de ce qu’elle était en 2019, et que celle pour l’alimentation, l’énergie et les biomatériaux devrait être comprise entre 33,5 et 39,5 EJ, ce qui correspondrait à une augmentation de 38 à 63 % par rapport au niveau actuel. Cette augmentation sera nécessaire pour atteindre l’objectif que l’UE s’est fixé de zéro émissions nettes de gaz à effet de serre (GES) d’ici 2050. Cette demande projetée dépassera considérablement la biomasse qu’il semble possible de produire durablement. Cette situation demandera de reconsidérer les priorités et notamment de développer vigoureusement les énergies renouvelables autres que celles reposant sur l’utilisation de la biomasse [lire en anglais].
En effet, la réalisation d’un tel objectif de production de biomasse exigerait une augmentation de la superficie cultivée dans l’UE, alors que la stratégie envisagée par l’Union est une réduction de ces superficies et une diminution de l’intensité des cultures [lire].
Conclusion
L’exemple de l’Union européenne montre que le développement de la bioéconomie qui se produira très probablement à la suite des efforts faits en vue de la diminution des émissions de GES nécessaire à la lutte contre le changement climatique, entraînera une très forte pression sur la biomasse disponible.
Une des conséquences sera une compétition plus intense entre les différentes utilisations possibles de la biomasse (alimentation humaine et animale, énergie, textiles, bois et papier, chimie, pharmacie, etc.).
Cette conclusion, qui semble évidente pour l’UE, est très vraisemblablement également valable à terme, pour l’ensemble du monde.
Une compétition accrue entre les divers emplois de la biomasse risque, à son tour, d’entraîner à la fois une hausse des prix des produits alimentaires et une pression plus forte sur l’environnement, notamment les ressources en terre et en eau, et cela, quelle que soit la combinaison des trois visions de la bioéconomie qui s’avèrera dans la réalité.
Il sera donc essentiel pour l’avenir, de définir des priorités claires pour le développement et l’utilisation de la biomasse, de limiter l’emploi de la biomasse pour l’énergie et de développer plus vigoureusement les autres méthodes de production d’énergie renouvelable.
(novembre 2022)
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Notes :
1.Meadows, D. et al.. The Limits to Growth - A Report for The Club Of Rome's Project on the Predicament of Mankind, 1972, A Potomac Associates Book, Universe Books, New York. En français: Les Limites à la croissance (dans un monde fini), Editions Rue de l’Echiquier, 2012.
2.EJ est le symbole de l’exajoule = 1018 Joules.
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Pour en savoir davantage :
•Kircher, M., Economic Trends in the Transition into a Circular Bioeconomy, Journal of Risk and Financial Management, 2022 (en anglais).
•Bugge MM, Hansen T et Klitkou A. What Is the Bioeconomy? A Review of the Literature. Sustainability, 2016 (en anglais).
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Dernière actualisation: novembre 2022
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