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27 mars 2020



COVID-19 et nourriture - La pandémie risque d’entraîner une crise alimentaire majeure


Si le nouveau coronavirus ne fait pas de différence entre les riches et les pauvres, les inégalités face à la crise alimentaire qui ne manquera pas d’être la conséquence de l’épidémie, sont bien réelles, elles. Ce gouffre d’injustice existe autant entre pays riches et pays pauvres, qu’entre les riches et les pauvres à l’intérieur d’un même pays.


Cette probable crise alimentaire s’exprimera tout d’abord, bien sûr, par les difficultés d’accès à la nourriture qu’éprouveront les plus vulnérables. Elle pourra également résulter des difficultés d’approvisionnement sur le marché mondial étant données les restrictions aux frontières mises en place par un nombre croissant de pays. Par endroits, elle se traduira sans doute aussi par des difficultés de production. Beaucoup dépendra de la réaction des gouvernements et du niveau de solidarité dont on fera preuve aux niveaux national, régional et mondial ainsi que de l’existence, ou non, de systèmes sociaux nationaux solides.


En zone urbaine, les plus vulnérables sont les personnes travaillant dans la précarité et dans le secteur informel - souvent dominant dans les pays pauvres - qui se voient privées de leurs ressources financières habituelles dans une situation de confinement. Elles se retrouvent donc dans l’incapacité d’acquérir la nourriture requise pour couvrir leurs besoins de base quotidiens, alors qu’en général elles ne disposent pas de réserves alimentaires. Les personnes sans emploi sont dans l’impossibilité de poursuivre leur recherche de travail et les petits métiers de la rue ne peuvent plus être exercés du jour au lendemain.




Pour qui connaît un peu les grandes métropoles des pays pauvres (Inde, Afrique, pays les plus démunis d’Amérique Latine) où une multitude de personnes offrants divers services se bousculent dans des rues bondées - du porteur d’eau à la petite vendeuse de noix de cola, en passant par une foule d’individus vendant des produits allant de la nourriture de rue aux mouchoirs en papier et aux briquets -, il est difficile d’imaginer ce que deviendront tous ces gens dans des villes soudain bouclées dans un confinement plus ou moins strict.


Vivant souvent au jour le jour, ces personnes n’ont plus la possibilité de gagner leur vie; sans réserve financière, elles ne peuvent pas acheter de quoi se nourrir pour quelques jours dans une période où la règle et la prudence exigent des sorties en nombre limité. Et que dire de ceux qui n’ont pas de toit sous lequel s’abriter ou qui habitent des bidonvilles avec moins d’un mètre carré par personne, ou encore dans des camps de réfugiés surpeuplés ?


Cette population fragile est démunie face à la crise et à l’épidémie. Non seulement ne peuvent-elle plus trouver de quoi se nourrir, mais ses enfants, s’ils allaient à l’école, y bénéficiaient souvent d’un déjeuné quotidien gratuit ou subventionné, sont désormais bloqués à la maison du fait de la fermeture des établissements scolaires. Cette situation entraîne un regain de besoins en produits alimentaires qui est totalement inattendu. Bien entendu, dans les conditions qui sont les leurs, ces gens ne peuvent guère se barricader en sécurité comme le font les privilégiés : ils sont obligés de sortir ce qui augmente leurs risques de contamination et peut les mettre en difficulté avec les forces de l’ordre.


Alors que peut-on faire? Distribuer de l’argent comme le gouvernement des États-Unis envisagerait de le faire (« monnaie hélicoptère »), sauf qu’il est bien malaisé d’atteindre ceux qui n’ont ni compte en ligne, ni téléphone portable, ni adresse et si l’on veut éviter des rassemblements de masses propices à la dissémination du virus. La distribution de paniers ou de cartons de nourriture présente, elle aussi, des difficultés logistiques qui paraissent quasi insurmontables dans les pays les plus pauvres où pourtant le besoin est le plus pressant, et l’on peut se demander qui acceptera de prendre le risque d’assurer cette tâche dans des pays où le systèmes de santé est désorganisé car il a été laissé à l’abandon pendant des décennies.


Reste littéralement l’option de jeter les billets depuis des hélicoptères… idée folle, parfaitement inefficace et injuste que certains dirigeants seraient bien capables d’adopter -  qui sait ? - à des fins électoralistes dans leur folie faite d’ignorance et d’extravagance.


Il faut bien comprendre une chose : la plupart des solutions adaptées aux conditions trouvées en France, aux États-Unis ou à Singapour, ont peu de chance d’être reproductibles et efficaces pour la masse de la population en Inde, au Niger ou au Nicaragua. Elles pourraient peut-être fonctionner pour une petite minorité de privilégiés (salariés du système formel et fonctionnaires). Il s’agit donc d’imaginer des modalités qui soient aussi sûres du point de vue sanitaire que justes du point de vue social que possible, sinon, le désastre guette. Pour cela, il est indispensable que les organismes responsables au niveau mondial et régional, mobilisent leur expertise et s’appuient sur les leçons tirés de l’expérience.


Dans les zones rurales, les problèmes sont quelque peu différents de ce qu’ils sont en ville. L’accès à la nourriture produite localement y est relativement plus facile, les producteurs disposant souvent de quelques stocks alimentaires modestes (même si dans certaines régions des pays industrialisés, l’agriculture a souvent presque disparu).


Ce sont probablement les questions de production qui risquent d’être dominantes : restriction de mouvements créant de sérieux obstacles à la commercialisation, au stockage et à la transformation provoquant une situation d’autant plus délicate que les produits sont périssables. De ce point de vue, la difficulté de recruter des travailleurs saisonniers - souvent migrants - pour récolter fruits et légumes est bien réelle et pose problème autant pour les producteurs que pour les consommateurs. Dans certains pays, les travailleurs sans terre et les ouvriers agricoles peuvent se trouver dans une situation proche de celle vécue par les actifs du secteur informel en zone urbaine. Dans ce cas,  les contraintes à affronter sont encore plus nombreuses pour arriver à leur venir en aide, puisqu’ils sont disséminés dans la nature et ont généralement moins accès aux moyens de communication électronique1. Quant au système de santé, il est habituellement plus faible qu’en ville.




Selon le moment où l’épidémie frappera, l’impact se fera surtout sentir soit au niveau de la récolte, de la mise en place ou de l’entretien des cultures. Selon la propagation de la maladie et la saison à laquelle un pays sera touché, les conséquences seront différentes sur le plan de la nature et aussi de l’horizon temporel auquel elles se manifesteront : si l’effet agit sur la récolte, il se soldera par des pertes et un manque à gagner immédiats; si l’impact est sur la préparation ou l’entretien des cultures, il portera sur le niveau de production quelques mois plus tard.


Pour se faire une idée de la situation mondiale, il faudrait qu’une institution comme la FAO fasse un suivi de cette situation et des décisions prises par les gouvernements, ainsi qu’elle l’avait fait à l’occasion de la crise alimentaire et financière d’il y a un peu plus d’une décennie [lire en anglais], et qu’elle facilite un échange d’expérience (à distance, bien sûr) entre les pays, afin de déterminer les solutions les plus adaptées dans des conditions données, en collaboration avec d’autres organismes tels que le Programme alimentaire mondial (PAM) et le Fonds international pour le développement agricole (FIDA), notamment.


Il est essentiel que tout le monde se mobilise pour éviter qu’une crise alimentaire vienne emboîter le pas à la pandémie de la COVID-19.



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  1. 1.Selon l’Union internationale de télécommunication, le pourcentage d’utilisateurs d’Internet n’était que 41% dans les pays « en développement », contre 81% pour les pays « développés », en 2018.



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Pour en savoir davantage :


  1. M. Torero, Novel coronavirus COVID-19 | Food supply chains under strain, what to do? FAO, 2020 (video en anglais).

  2. Q & R : Les effets de la pandémie du COVID-19 sur l’alimentation et l’agriculture, Site web de la FAO.

  3. FAPDA - Food and Agriculture Policy Decision Analysis, Site web de la FAO (en anglais).

  4. Mehta, B.S. et al., Life in the Times of Corona: Lockdown & Livelihood in the Lurch, Inter Press Service, 2020 (en anglais).


Sur la crise alimentaire de 2007/08:

  1. Demeke, M., G.Pangrazio et M.Maetz, Country responses to the food security crisis: Nature and preliminary implications of the policies pursued, FAO, 2009 (en anglais).

  2. Maetz, M. (coord.), Guide pour le lancement immediat d'actions au niveau des pays.doc, FAO, 2008.


Ecoutez l’interview de la journaliste et écrivaine indienne Vaiju Naravane sur France culture sur la situation dans l’Inde confinée (14 avril 2020, L’invité du matin, 8h20 à partir de 12:10).



Sélection de quelques articles parus sur lafaimexpliquee.org liés à ce sujet :


  1. Opinion : Le dur retour de la réalité - Réflexions autour de la crise de la COVID-19, 2020.

  2. L’urbanisation de la faim : l’exode rural pousse la faim vers les villes, 2019.

  3. L’exclusion, 2013.

  4. La vérité sur les crises alimentaires : la responsabilité accablante de politiques économiques désastreuses, 2012.

 

Dernière actualisation :    mai 2020

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