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11 janvier 2024


La situation alimentaire se dégrade au Sahel


Gaza, Afghanistan, Yémen ou Somalie sont les noms de pays le plus souvent prononcés par les médias quand ils évoquent les crises alimentaires aiguës en cours. Ce sont là des crises qui sont principalement liées à des situations conflictuelles.


Cependant, la difficulté de se nourrir de manière adéquate est bien plus répandue dans le monde et elle a des causes complexes qui ont déjà été mentionnées sur ce site [lire notamment ici et ici].


Ainsi, la FAO estimait, en novembre 2023, que 46 pays avaient besoin d’une aide alimentaire extérieure : 33 en Afrique, 10 en Asie, 2 en Amérique latine et Caraïbes, et 1 en Europe [lire p.2]. De son côté, le Programme alimentaire mondial (PAM), la principale agence des Nations Unies chargée de l’aide alimentaire d’urgence, intervenait dans 120 pays [voir la carte].


L’Afrique de l’Ouest et tout particulièrement le Sahel ont, depuis des décennies, subi de fréquentes crises alimentaires, avec leurs conséquences dramatiques pour la population.


Contexte institutionnel


C’est la raison pour laquelle cette région a fait l’objet d’une attention toute particulière. En 1973, fut fondé le Comité Inter États pour la lutte contre la Sécheresse au Sahel (CILSS) qui regroupe 13 États sahéliens1. (Figure 1) En 1976 fut créé le Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest dont l’objectif est « de contribuer à l’amélioration des conditions de vie des 420 millions d’habitants des pays membres de la CEDEAO2, de l’UEMOA3 et du CILSS ».4 Le bureau du Club est intégré au Pôle développement de l’OCDE.


À la suite des sécheresses de 1982, 1983 et 1984, le CILSS, le Club du Sahel et leurs partenaires créèrent le Réseau de Prévention des Crises Alimentaires au Sahel (RPCA), dont la mission est de « Promouvoir le dialogue et la coordination, construire une vision cohérente et consensuelle de la situation alimentaire et nutritionnelle et nourrir ainsi la prise de décision. » Cette « plateforme internationale de concertation et de coordination [est] placée actuellement sous le leadership politique des Commissions de la CEDEAO et de l'UEMOA tandis que le CILSS et le Club du Sahel en assurent le secrétariat » [lire].


Figure 1 Les pays membres et les pays d’intervention du CILSS



Source : CILSS


Il ressort des rapports successifs des Nations Unies sur l’état de la sécurité alimentaire et de la nutrition dans le monde (SOFI) que la région avait connu une amélioration notable de la situation alimentaire jusqu’à récemment, quand la tendance s’est inversée. Depuis 2012, nous avons eu l’occasion de refléter cette évolution dans nos articles annuels présentant des chiffres et des faits sur l’insécurité alimentaire et la malnutrition dans le monde [lire].


La situation alimentaire actuelle


La 39e réunion annuelle du RPCA s’est tenue à Praia, au Cap-Vert, du 5 au 8 décembre 2023. Elle a fait le point de la campagne agricole et a analysé la situation alimentaire de la sous-région. Pour cela, le RPCA dispose de moyens techniques permettant des estimations relativement fiables des productions de céréales et de principaux produits non céréaliers. Ces méthodes et moyens ont été mis en place en collaboration avec des partenaires et fonctionnent désormais avec des ressources propres de la sous-région.


Ces travaux ont montré que la situation alimentaire est à la fois « simple et complexe » selon l’un des participants.


Elle est « simple », car la production agricole a été bonne avec une prévision de 76,5 millions de tonnes de céréales, soit 5 % de plus que la moyenne des cinq dernières années. Dans le cas des racines et tubercules qui tiennent une place de choix dans le régime alimentaire de la population, on estime que leur production est en hausse de 7 % par rapport à la moyenne quinquennale. Ces bons résultats font suite à une pluviométrie assez satisfaisante, bien que marquée par des séquences sèches longues, en particulier au Mali, en Mauritanie, au Niger, au Sénégal et au Tchad.


Ces conditions météorologiques ont également permis une disponibilité relativement satisfaisante en fourrage et en eau pour le bétail.


Les causes de la détérioration de la situation alimentaire


La situation est cependant « complexe » parce que les disponibilités en nourriture par habitant sont en baisse, du fait d’une forte croissance démographique. Elle l’est aussi à cause de la situation d’insécurité au Burkina Faso, au Mali, au Niger, au Nigeria et au Tchad, due notamment à la présence de groupes armés djihadistes et/ou indépendantistes et à la prolifération de criminalité économique, en particulier autour du Lac Tchad (Figure 2).


Figure 2 Situation alimentaire en Afrique de l’Ouest

(octobre-décembre 2023)



Source : RPCA


Elle l’est encore à cause de la situation politique faisant suite à une série de coups d’État (Mali 2021, Guinée 2021, Burkina Faso 2022 et Niger 2023) et des sanctions dont les pays concernés font l’objet de la part des autres pays membres de la CEDEAO.


Elle l’est enfin, selon une source bien informée, parce qu’il « fallut trouver un compromis pour expliquer que dans les pays sahéliens marqués par une instabilité politique, la production avait fortement diminuée, sans pour autant en rendre formellement responsable ces mêmes troubles, ce qui aurait mis les gouvernements concernés dans une position inconfortable ». Ce compromis, on le comprendra aisément, a empêché la réflexion d’examiner les causes de manière plus approfondie.


Or, cette réflexion manque cruellement, surtout quand on sait que, malgré une production moyenne supérieure à ce qu’elle a été au cours des cinq années précédentes, « le nombre estimé de personnes en état d'insécurité alimentaire sérieuse requérant une intervention d’urgence est passé de 4 millions à près de 32 millions en cinq ans ».


C’est là une nouvelle illustration que, malgré ce que pense la plupart des gens, l’insécurité alimentaire n’est pas simplement un problème de production et de disponibilité de nourriture, mais aussi une question d’accès par les catégories les plus défavorisées de la population et de répartition [lire].


Cette question se décline en plusieurs dimensions interdépendantes [lire] parmi lesquelles les plus importantes actuellement dans les pays du CILSS sont :


  1. L’irrégularité des précipitations et les vagues de chaleur découlant du dérèglement climatique dans une région où l’agriculture est essentiellement pluviale.

  2. Les difficultés économiques dues notamment à l’augmentation des prix des aliments importés et des intrants agricoles (semences, engrais et carburant) et la forte incidence de la pauvreté.

  3. La situation sécuritaire qui, en plus des victimes et dégâts causés par les groupes armés, entraîne une perte de revenu des ménages ruraux quand ceux-ci ne peuvent effectuer leurs cultures habituelles ou déplacer leurs troupeaux à la recherche de pâturages, et provoque des mouvements de population vers des zones, souvent urbaines, plus sûres, mais où les capacités à gérer l’insécurité alimentaire manquent fréquemment tant au niveau national, que régional et même international [lire].

  4. Les sanctions économiques pour les pays qui les subissent et qui, comme toujours, frappent avant tout les plus démunis [lire].

  5. La crise de gouvernance tant au niveau national que régional, liée aux turbulences créées par les coups d’État.


Les conclusions du RPCA


Ces points sont évoqués dans une large mesure dans les conclusions de la réunion du RPCA [lire] qui soulignent également, à l’intention des partenaires étrangers, « L’insuffisance de ressources financières mobilisées face à l’amplification des crises alimentaires et nutritionnelles » (elles sont en régression par rapport aux années précédentes), et mettent en avant certaines bonnes pratiques adoptées par les pays de la sous-région. Enfin, elles font une série de recommandations aux autorités nationales et régionales susceptibles d’améliorer la situation dans l’avenir.




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Notes


  1. 1.Les membres du CILSS : Burkina Faso, Bénin, Cabo Verde, Côte d’Ivoire, Gambie, Guinée, Guinée-Bissau, Mali, Mauritanie, Niger, Sénégal, Tchad et Togo.

  2. 2.CEDEAO : Communauté Économique des États de l'Afrique de l’Ouest.

  3. 3.UEMOA : Union Économique et Monétaire Ouest Africaine.

  4. 4.Bénin, Burkina Faso, Cabo Verde, Côte d’Ivoire, Gambie, Ghana, Guinée, Guinée-Bissau, Libéria, Mali, Mauritanie, Niger, Nigéria, Sénégal, Sierra Leone, Tchad et Togo.


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Pour en savoir davantage :


  1. RPCA, 39e Réunion annuelle - Relevé des conclusions, Réseau de Prévention des Crises Alimentaires au Sahel, 2023.

  2. FAO. 2023. Perspectives de récolte et situation alimentaire. Rapport mondial quadrimestriel No. 3, novembre 2023. Rome.


Sites web :

  1. Réseau de Prévention des Crises Alimentaires au Sahel (en ligne)

  2. Comité Inter Etats pour la lutte contre la Sécheresse au Sahel (en ligne).



Sélection de quelques articles parus sur lafaimexpliquee.org liés à ce sujet :


  1. Des chiffres et des faits sur l’insécurité alimentaire et la malnutrition dans le monde, 2023

  2. Réflexions sur les causes de la faim, 2022.

  3. L’urbanisation de la faim : l’exode rural pousse la faim vers les villes, 2019.

  4. Pourquoi des famines dans un monde d’abondance ? 2017.

  5. La vérité sur les crises alimentaires : la responsabilité accablante de politiques économiques désastreuses, 2012.

  6. Idée reçue 1 : La faim est due à un manque de disponibilité de nourriture, 2012.

 

Pour vos commentaires et réactions : lafaimexpl@gmail.com

Dernière actualisation :    janvier 2024