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La COP26 de Glasgow pourra-t-elle faire honorer

les promesses trahies du financement du climat ?*


par Jomo Kwame Sundaram** et Anis Chowdhury***



Les plans d’atténuation du changement climatique en cours entraîneront une augmentation catastrophique de 2,7 °C de la température mondiale. Il faudra entre 1 600 et 3 800 milliards de dollars pour éviter un réchauffement global au-delà de 1,5 °C.




Une comptabilité « créative »


Voilà longtemps que les pays riches ont rompu leur engagement de la COP16 de Copenhague, en 2009, de mobiliser « 100 milliards de dollars par an d’ici à 2020 pour répondre aux besoins des pays en développement ». La pandémie n’a fait qu’empirer la situation, en diminuant les fonds disponibles [lire en anglais]. Les pays pauvres - dont beaucoup sont déjà pris dans le piège de la dette - luttent pour s’en sortir.


Bien que minuscule par rapport aux ressources requises pour faire face de manière appropriée au changement climatique, cet engagement avait été considéré comme un bon point de départ. Le chiffre avancé comprend à la fois les fonds publics et privés, sans précisions, toutefois, des sources (public/privé, dons/prêts, etc.).


Une telle ambiguïté a permis le double comptage, un manque de transparence et une comptabilité créative, notait le Groupe des experts indépendants sur la finance climatique des Nations Unies [lire en anglais]. De la sorte, l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques), qui regroupe les pays riches, a fait état de 80 milliards de dollars de finance pour le climat à destination des pays en développement, pour 2019 [lire en anglais].


Des chiffres truqués


Or, il s’avère que les chiffres de l’OCDE comprennent des prêts commerciaux non concessionnels, des prêts prorogés et de la finance privée. Certains gouvernements donateurs comptent la plus grande partie de leur aide au développement, même si elle n’est pas principalement consacrée à « l’action pour le climat ».


De même, la dispute sur les fonds qui doivent être considérés comme « nouveaux et additionnels » n’a pas été résolue [lire en anglais] depuis l’adoption, en 1992, de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC), lors du Sommet de la terre, à Rio.


L’aide officielle au développement redésignée comme finance pour le climat devrait être catégorisée comme « réallouée », plutôt qu’en tant que financement « additionnel ». Par conséquent, les pays pauvres perdent du financement en faveur de l’éducation, la santé et les autres biens publics.


L’Inde a contesté les chiffres de l’OCDE sur la finance pour le climat en 2013-14, en avançant une estimation de 2 milliards de dollars au lieu des 57 milliards de dollars annoncés par l’organisation internationale ! D’autres pays en développement ont également contesté de tels procédés de comptabilité créative et d’écoblanchiment.


L’anarchie de la finance pour le climat


Les pays en développement s’attendaient à ce que les 100 milliards de dollars annuels promis soient essentiellement faits de dons publics déboursés par ce qui était alors le nouveau Fonds vert pour le climat de la CCNUCC [lire]. Oxfam estime que la finance pour le climat s’est montée à seulement 19 à 22,5 milliards de dollars en 2017-18, avec très peu de coordination effective de la finance publique.


Les pays en développement pensaient que leurs représentants pourraient aider à la décision de débourser les fonds, et garantir qu’ils soient distribués équitablement, effectivement et efficacement. Mais en réalité, bien peu sont gérés par les pays en développement eux-mêmes. Plutôt, le financement pour le climat passe par un grand nombre de canaux, notamment par les agences d’aide et de promotion des exportations des pays riches, les banques privées, les fonds d’investissement et les prêts et dons des institutions multilatérales.


Plusieurs programmes des Nations Unies soutiennent également l’action pour le climat, notamment le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE), le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) et le Fonds pour l’environnement mondial (GEF). Mais tous sont sous-financés et demandent à être réapprovisionnés fréquemment. Mais le financement incertain et des pays en développement peu impliqués dans les décaissements, rendent toute planification d’autant plus difficile.


La financiarisation a fait que les intérêts financiers privés sont de plus en plus impliqués dans la finance pour le climat. Les affirmations des pays riches en matière de financement privé pour le climat sont très contestées [lire en anglais]. Même les estimations de l’OCDE n’ont pas augmenté régulièrement et ont plutôt fluctué dans tous les sens depuis 16,7 milliards de dollars en 2014 à 10,1 milliards en 2016, et 14,6 milliards en 2018 [lire].


Le rôle et l’impact réels des financements privés sont également fortement remis en cause [lire en anglais]. Il n’est pas surprenant que le financement privé soit peu susceptible d’aider les pays qui sont le plus dans le besoin, de porter sur les priorités de politique publique, ou de compenser des dommages irréparables. En revanche, le financement mixte utilise souvent l’argent public pour rendre les investissements privés moins risqués.


Les profits d’abord


Les pays les plus pauvres ont désespérément besoin de reconstruire leur résilience et d’adapter le milieu humain et les moyens de subsistance de leur population [lire]. Il faut des fonds pour l’adaptation afin de mieux faire face aux nouvelles circonstances créées par le réchauffement mondial.


Les transformations indispensables - tel que l’amélioration du drainage, le captage d’eau et l’infrastructure - sont coûteuses, mais néanmoins désespérément nécessaires.


Toutefois, les donateurs préfèrent les « gains faciles » de l’atténuation du changement climatique qui peuvent être affichés, surtout dans la mesure où ils accordent de plus en plus des prêts, au lieu de dons. Ainsi, bien que l’Accord de Paris cherche un équilibre entre l’atténuation et l’adaptation, la majeure partie des financements pour le climat visent encore à diminuer les émissions de gaz à effet de serre (GES).


Dans la mesure où l’adaptation au climat est rarement profitable, elle intéresse moins les investisseurs privés. Plutôt, la finance privée préfère les investissements d’atténuation qui génèrent des bénéfices plus élevés. Par conséquent, il n’y a eu que 20 milliards de dollars destinés à l’adaptation en 2019 [lire en anglais] - moins de la moitié du montant consacré à l’atténuation. Comme l’on pouvait s’y attendre, le rapport de l’OCDE constate que seuls 3 % des financements privés sont allés à l’adaptation.


À la recherche de profits, la plus grande partie du financement pour le climat va vers des pays à revenu moyen, et non vers les plus pauvres et les plus vulnérables. Sur la période 2014-18, seulement 9 milliards de dollars - moins d’un cinquième du total du financement de l’adaptation - sont allés aux 46 pays les « moins développés » selon les Nations Unies, soit « moins de 3 % des besoins annuels de financement de l’adaptation [mal] estimés des pays les moins développés pour la période 2020-2030 » [lire en anglais].


Cruelle ironie


Le Fonds monétaire international reconnaît le « coût inégal de la hausse des températures ». C’est, en effet, une « cruelle ironie » [lire en anglais] que ceux qui sont les moins responsables du changement climatique soient aussi ceux qui en supportent le plus les conséquences. En attendant, apporter de la finance pour le climat sous la forme de prêts, c’est enfoncer encore davantage les pays pauvres dans la dette [lire en anglais].


De plus en plus fréquemment, des désastres météorologiques extrêmes sont suivis d’une augmentation des emprunts, dans la mesure où les pays pauvres ont une marge fiscale très faible. Or les emprunts des pays pauvres coûtent bien plus que ceux des pays riches. Par conséquent, les pays pauvres dépensent 5 fois plus sur leur dette que pour faire face au changement climatique et réduire les émissions de GES.


Les quatre cinquièmes des désastres les plus dévastateurs depuis 2000 sont dus aux tempêtes tropicales. Les pires catastrophes ont rehaussé la dette publique dans 90 % des cas dans les deux années qui ont suivi - sans perspective d’allègement de la dette.


Puisque beaucoup de pays pauvres sont déjà endettés, les désastres climatiques ont des conséquences véritablement dramatiques - comme à Belize, à Grenade et au Mozambique. Peu d’aide a « ruisselé » jusqu’aux communautés les plus touchées et aux groupes les plus vulnérables, indigents et pauvres [lire en anglais].


Déficit de financement


Sur la base des objectifs à long terme des pays en matière d’atténuation et l’adaptation, le Comité permanent des finances de la CCNUCC a estimé que les pays en développement ont besoin en tout de 5 800 à 5 900 milliards jusqu’en 2030 [lire en anglais]. Les Nations Unies jugent qu’il faudrait aux pays en développement, à l’heure actuelle, 70 milliards de dollars par an pour l’adaptation, un montant qui devrait atteindre entre 140 et 300 milliards de dollars en 2030.


En juillet, le « V20 » des ministres des Finances des 48 pays vulnérables au climat a appelé au respect de la promesse des 100 milliards de dollars, datant de 2009, et demandé que l’on réaffirme l’engagement d’améliorer la finance pour le climat. Cette amélioration devrait comprendre une augmentation des ressources financières et plus de dons, et l’allocation d’au moins la moitié des fonds à l’adaptation - mais la cheffe de la CCNUCC a reconnu l’absence de progrès depuis lors [lire en anglais].


Seule une application rigoureuse de critères sur la finance pour le climat peut empêcher les pays riches d’abuser des obligations ambiguës de déclaration. À l’heure actuelle, la fragmentation du financement pour le climat exige urgemment plus de cohérence et une priorité au soutien à ceux qui sont dans la plus grande détresse et aux plus vulnérables.


Ce mois-ci, la COP26 de Glasgow, en Écosse, peut et doit redresser la situation avant qu’il ne soit trop tard. La nouvelle Guerre froide va-t-elle pousser le Nord à faire l’inattendu pour rallier le reste du monde, au lieu de militariser encore davantage les tensions ?



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Publié initialement sur Interpress Service, le 2 novembre 2021 sous le titre « Will Glasgow Fix Broken Climate Finance Promises? » http://www.ipsnews.net/2021/11/will-glasgow-fix-broken-climate-finance-promises/.

** Jomo Kwame Sundaram, ancien professeur d’économie, a été Assistant Secrétaire Général des Nations Unies pour le développement économique, Assistant Directeur Général de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et a reçu le Prix Wassily Leontief pour avoir fait avancer les frontières de la pensée économique en 2007.

*** Anis Chowdhury, ancien professeur d’économie à l’Université de Western Sydney, a occupé des postes de responsabilité aux Nations Unies entre 2008 et 2015 à New York et à Bangkok.


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Pour en savoir davantage :


  1. Programme des Nations Unies pour le développement, Rapport sur l’écart entre les besoins et les perspectives en matière d’adaptation 2021 — La tempête qui se prépare (L’adaptation au changement climatique dans l’après- pandémie), 2021.

  2. Oxfam, Les vrais chiffes des financements climat - Où en est-on de l’engagement des 100 milliards de dollars ? 2020.

  3. Independent Expert Group on Climate Finance, Delivering on the $100 Billion climate finance commitment and transforming climate finance, 2020 (en anglais).




Sélection d’articles sur lafaimexpliquée.org liés au sujet :


  1. Les inégalités de revenu affectent le niveau d’émission des gaz à effet de serre et la vulnérabilité aux conséquences du changement climatique, 2020.

  2. Opinions: Condamnés à l’utopie ? Climat et démocratie : changer de paradigme pour préserver l’environnement et notre avenir, par M. Maetz, 2020.

  3. Opinions: La Banque mondiale est en train de financiariser le développement par Jomo Kwame Sundaram et Anis Chowdhury, 2019.

  4. Financement climatique : pour qui roule la Banque mondiale ? 2017.

  5. Financement climat en faveur des pays pauvres : confusion, manque de transparence et probabilité de non respect des engagements pris, 2016.

  6. Le climat change, l’alimentation et l’agriculture aussi - Vers une « nouvelle révolution agricole et alimentaire », 2016.

 

Dernière actualisation: novembre 2021

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