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7 février 2014



Négociations des accords de partenariat économique UE/ACP: une percée en défaveur des pays les plus pauvres d’Afrique de l’Ouest



Après dix ans sans avancées notables, les négociations sur les accords de partenariat économique (APE) entre l’Union européenne (UE) et les pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP) ont connu une percée soudaine fin janvier.


L’accord s’est fait sur l’ouverture sur 20 ans des marchés de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) aux produits de l’UE à hauteur de 75 % au lieu des 80 % initialement exigés par l’UE. En plus, la clause de la nation la plus favorisée, qui permettait à l’UE de s’assurer que les pays de la CEDEAO ne concluraient pas d’accords commerciaux plus avantageux avec d’autres pays développés, n’est plus spécifiquement incluse dans l’accord. Ces maigres gains ont eu comme contrepartie le renoncement par les pays de la CEDEAO aux 15 milliards d’euros de fonds additionnels qui auraient dû être destinés au développement économique des pays concernés et que la CEDEAO avait demandés pour compenser l’impact négatif attendu des APE. L’UE se contente d’apporter 6,5 milliards d’euros de fonds de développement pour la période 2015-2019 sans promesse de fonds supplémentaires.


Cet accord remet donc en cause l’accès total et sans réciprocité au marché européen dont disposaient jusqu’à présent les pays les moins avancés (PMA) qui représentent les 3/4 des pays de la CEDEAO. Ces pays, qui sont parmi les plus pauvres au monde, devront donc ouvrir leur marché aux produits européens sans obtenir de compensation. C’est là une libéralisation qui va plus loin que ce que demande l’OMC: l’Union Européenne ne peut donc pas s’abriter derrière un quelconque engagement qu’elle aurait pris à l’OMC pour justifier l’imposition d’une telle mesure.


Les conséquences seront principalement de deux types:


  1. Une diminution substantielle des recettes douanières qui constituent traditionnellement une part essentielle des recettes des Etats de la CEDEAO. Cela affaiblira donc encore davantage des Etats déjà fragiles et diminuera d’autant leur possibilité de financer des actions de développement et de protection sociale, puisque l’accord n’inclut plus le paiement des 15 milliards d’euros de fonds pour le développement. L’UE prétend que la diminution des recettes douanières sera compensée par une augmentation du PIB découlant de l’accord et qui entrainerait une hausse des encaissements provenant d’autres taxes. Malheureusement, les leçons d’autres accords le libéralisation des échanges entre pays du Sud et pays du Nord montre que cette hausse du PIB n’est rien moins qu’assurée

  2. Une baisse de la compétitivité de la plus grande partie de la production locale sur les marchés nationaux, puisque l’ouverture des marchés entrainera une réduction du prix de la plupart des importations provenant de l’UE. Cette baisse de compétitivité obèrera les possibilités de développement industriel des pays concernés et pénalisera fortement les produits de l’agriculture et de l’agroalimentaire. (pour en savoir plus lire le rapport du South Center)




L’accord, on le voit, aura donc des effets délétères tant dans l’immédiat que dans le moyen et long terme, et se traduira par une situation sociale et alimentaire aggravée: moins d’emplois dans l’industrie et une agriculture moins dynamique, y compris dans les pays les plus pauvres qui ne bénéficieront pas de mesures de soutien particulières. Il risque aussi de ternir davantage l’image de l’UE auprès de la population des pays concernés au bénéfice notamment des grands pays émergents tels que le Brésil ou la Chine.


Kalilou Sylla, Secrétaire général du ROPPA (Réseau des Organisations Paysannes et de Producteurs Agricoles de l’Afrique de l’Ouest) pense que cet accord est le résultat d’un marchandage politique entre certains dirigeants (Sénégal, Côte d’Ivoire, Niger) qui ont besoin du soutien de l’UE pour renforcer leur légitimité. L’accord devrait préserver certains intérêts pour les pays tels que le Ghana et la Côte d’Ivoire qui exportent un volume important de produits vers l’UE car ils pourront garder leur accès préférentiel au marché européen. Par contre il entrainera une perte sèche importante pour ceux des pays qui ont un fort déficit commercial envers les pays de l’UE et y exportent peu.


Rappelons ici que les APE doivent impérativement remplacer d’ici le 1er octobre 2014 les préférences commerciales non réciproques accordées par l’UE aux pays ACP dans le cadre de l’accord de Cotonou de juin 2000. C’est là une exigence de mise en conformité avec les règles de l’OMC. Au-delà de cette date, les pays n’ayant pas finalisé les négociations avec l’UE se verront privés de l’exemption de droits de douane et de quotas aux exportations vers l'Union européenne dont ils profitent actuellement pour basculer vers le régime général des pays en voie de développement ou le régime des PMA selon le cas, qui tous deux sont moins avantageux.


Il est probable que les autres organisations régionales de pays ACP se voient acculées à accepter des accords similaires, pressés par la date butoir d’octobre prochain.


L’accord CEDEAO/UE devra à présent être officiellement confirmé d’abord par les négociateurs en chef, puis par les chefs d’Etats, dans le cas de la CEDEAO dès la fin de ce  mois. Après, il faudra probablement encore de long mois pour le mettre réellement en oeuvre, étant données les lenteurs européennes: voilà qui repoussera son entrée en vigueur bien après octobre 2014.



Pour en savoir davantage:


  1. -Alimenterre, L'Afrique de l'Ouest pourrait ouvrir son marché à l'UE dès 2014, 7 février 2014

  2. -C. Barbière, Accord en vue entre l'UE et les pays du club Afrique Caraïbes Pacifique, EurActive.fr, 31 janvier 2014

  3. -I. Ramdoo, Economic Partnership Agreements: West Africa seals a deal at the 11th hour, European Centre for Development Policy Management, 27 janvier 2014



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Dernière actualisation:    février 2014

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