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17 septembre 2016
Quelle place pour l’agriculture urbaine dans la résolution de la question alimentaire ?
Dans le débat sur la résolution de la question alimentaire, un nombre croissant de voix s’est élevé pour souligner le rôle important que peut jouer l’agriculture urbaine. Quelles sont les arguments pouvant étayer ce point de vue ?
Le rapport d’une étude faite par une équipe du Johns Hopkins Center for a Livable Future analyse les avantages et limitations potentielles de l’agriculture urbaine. “Vacant Lots to Vibrant Plots - a review of the benefits and limitations of urban agriculture” (disponible uniquement en anglais), publié en mai 2016, conclut qu’un apport important en terme de production alimentaire pour les habitants des villes ne fait pas vraiment partie des principaux avantages qui peuvent être attendus de l’agriculture urbaine. Plutôt les auteurs soulignent que, sur la base d’une revue de la littérature disponible sur le sujet, la principale contribution de l’agriculture urbaine se trouve dans le domaine social où elle permet de créer du capital social ainsi que « des savoir-faire sociaux et politiques… tels que l’organisation collective, la collecte de fonds et la prise de décision par consensus [qui] peuvent donner la capacité aux résidents de commencer à régler les autres problèmes se posant dans leur collectivité et au-delà ». Néanmoins, l’agriculture urbaine peut faire changer la relation entre les personnes et leur alimentation.
Dans cette étude, l’agriculture urbaine est appréhendée par son expression la plus fréquente, les jardins collectifs, et par ses plus rares « formes innovantes du point de vue technologique tels que les jardins et serres de toit, les fermes verticales ou intérieures, les murs verts et les installations aquaponiques, [qui] sont encore à des stades peu avancés de recherche et de mise en oeuvre ». Les auteurs affirment que « alors que l’agriculture urbaine seule ne résoudra pas seule les nombreux dilemmes de notre système alimentaire, … elle peut faire partie d’un ensemble d’interventions requises pour le transformer en un système plus juste d’un point de vue social, plus approprié du point de vue écologique et plus viable économiquement ». En outre, « les jardins pourraient davantage servir de centres de proximité culturelle et sociale que de sites de production agricole ». Ils peuvent déclencher une transformation de la relation entre les consommateurs et leur alimentation en « ré-établissant une connexion entre les consommateurs urbains et la production alimentaire et …[en aidant] à renforcer leurs connaissances de base en matière d’agriculture ».
Les auteurs font un inventaire exhaustif des avantages de l’agriculture urbaine dans divers domaines. Ils sont résumés ci-dessous :
•Dans le domaine du développement et de la cohésion collective, les avantages comprennent notamment :
•des opportunités d’interaction et de liens sociaux
•la facilitation de processus d’organisation collective
•des lieux d’interaction sociale.
•Dans le domaine de l’intégration et la préservation culturelle, les avantages comprennent notamment des opportunités :
•d’interaction entre personnes ayant des origines différentes
•de rencontre entre des migrants et leurs collectivités d’accueil
•d’expression et de préservation de l’héritage culturel
•de renforcement des liens entre différentes générations.
•Dans le domaine de l’éducation et de la jeunesse, l’agriculture urbaine peut permettre l’acquisition de connaissances sur l’origine de notre alimentation, l’agriculture et la nutrition, et le développement de nouvelles aptitudes.
•Dans le domaine des services écosystémiques, elle peut aider :
•une biodiversité accrue
•le développement d’habitats pour les pollinisateurs
•la gestion de micro-climats et la réduction de la pollution de l’air
•le recyclage de déchets organiques (par le compostage).
•Dans le domaine de la lutte contre le changement climatique :
•la diminution du transport de nourriture et des émissions de gaz à effet de serre qui en résultent
•la fixation de carbone par les plantes.
Le rapport souligne également certaines limitations de l’agriculture urbaine, y compris le manque d’expertise sociale et technique locale qui peut entraîner des pratiques qui ne sont pas appropriées du point de vue social ou écologique, le pilotage extérieur des processus qui en limite l’impact social, l’exclusion de certains groupes de population et le manque de soutien politique.
Du point de vue de la santé individuelle, le rapport mentionne également quelques aspects positifs (activité physique accrue et amélioration de la santé mentale et du bien-être) et certains risques associés à l’agriculture urbaine telle que la consommation de nourriture contaminée par les métaux lourds et d’autres matières toxiques qui sont présentes dans l’environnement urbain.
Toutes ces conclusions, les auteurs le reconnaissent, sont essentiellement représentatives de l’agriculture urbaine dans les pays riches, particulièrement en Amérique du Nord.
L’Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture (FAO) estime que dans le contexte des pays « en développement », l’agriculture urbaine a un rôle important à jouer dans la sécurité alimentaire. Elle estime qu’il y a dans le monde 800 millions de personnes pratiquant l’agriculture urbaine et péri-urbaine, et pour qui cette activité permet d’économiser de l’argent en réduisant leurs achats alimentaires et de diversifier leur régime alimentaire en donnant accès à des produits maraîchers. Cependant, le développement rapide des villes qui aboutit souvent à la mise en place d’énormes bidonvilles surpeuplés n’est guère favorable à l’installation d’une agriculture urbaine, à cause du manque d’espace. La FAO estime ainsi que le développement de l’agriculture urbaine dans le Sud nécessitera davantage de planification urbaine et la création de « villes vertes ». L’Organisation a aidé les gouvernements à promouvoir « du jardinage commercial irrigué en zone urbaine périphérique, des mini-jardins hydroponiques dans des bidonvilles, ainsi que des toits « verts » dans le centre de villes densément peuplées ».
La Fondation RUAF, basée au Pays-Bas, estime pour sa part que l’agriculture urbaine peut avoir un impact sur la sécurité alimentaire par l’amélioration des régimes alimentaires (légumes) et la création de revenus additionnels. Elle peut améliorer les conditions économiques des groupes de population qui s’y engagent, renforcer l’intégration sociale et contribuer à une meilleure gestion environnementale des villes.
Alors ? Quelle place pour l’agriculture urbaine dans la résolution de la question alimentaire ?
A lafaimexpliquee.org, nous pensons que si l’agriculture urbaine peut contribuer à la résolution de la question alimentaire, cela ne sera que de façon marginale du point de vue des disponibilités alimentaires.
Dans les pays riches, le principal rôle que l’agriculture urbaine peut jouer dans la résolution des problèmes alimentaires est d’offrir des opportunités aux habitants des villes de rester liés et informés sur la production alimentaire, d’en faire des consommateurs plus responsables et de leur donner la capacité d’influencer le système alimentaire dans son ensemble. Mais même dans ce cas, le nombre de personnes concernées risque d’être limité dans la mesure où beaucoup d’habitants des villes des pays du Nord affirment qu’ils n’ont même pas le temps de préparer leur nourriture et préfèrent acheter dans les supermarchés des plats cuisinés peu chers et de basse qualité alimentaire. Alors comment pourraient-elles prendre part à des activités d’agriculture urbaine qui sont bien plus exigeantes ? Les participants les plus probables, dans ce contexte, pourraient être les jeunes (par l’intermédiaire de leur école), des militants sur-motivés et des retraités qui ont davantage de temps libre et recherchent des moyens de conserver et developper du lien social. La fonction « pédagogique » de l’agriculture urbaine nous semble dont bien plus importante que sa fonction de production, même si cette dernière pourrait être de quelque intérêt dans les pays où elle disposerait de suffisamment d’espace.
Dans les pays pauvres, l’agriculture urbaine a depuis longtemps fait partie des stratégies de survie en temps de crise. Par exemple, au pic de la crise économique au Ghana, dans les années 80 et 90, beaucoup d’urbains, y compris des fonctionnaires du gouvernement, élevaient des poules à leur domicile. Pendant la crise alimentaire de 2007/2008, nos écrans de télévisions se sont retrouvés pleins d’images d’habitants de Nairobi cultivant du maïs sur leur balcon. Mais le manque d’espace, un obstacle majeur à l’expansion de l’agriculture urbaine dans la plupart des pays du Sud, fera qu’elle restera marginale en terme de production aussi longtemps que les gouvernements de s’engageront pas réellement vers la construction de « cités vertes ».
Et cela risque de prendre du temps, car il y a bien d’autres questions urgentes à régler dans les mégapoles du Sud.
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Pour en savoir davantage:
-Santo, Palmer and Brent, “Vacant Lots to Vibrant Plots - a review of the benefits and limitations of urban agriculture, Johns Hopkins Center for a Livable Future, 2016 (en anglais uniquement)
-FAO, page sur l’agriculture urbaine, http://www.fao.org/urban-agriculture/fr/
-Fondation RUAF http://www.ruaf.org
Pour vos commentaires et réactions: lafaimexpl@gmail.com
Dernière actualisation: septembre 2016