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14 mars 2021
Expansion urbaine et terres agricoles : à Aubervilliers, faut-il accepter de sacrifier les jardins ouvriers sur l’autel des Jeux de Paris 2024 ?
Paris se prépare à accueillir les XXXIIIes olympiades de l’ère moderne en 2024.
À Aubervilliers : les jardins ouvriers en danger
En Seine-Saint-Denis, le département le plus pauvre de métropole, les travaux préparatoires se précisent. Certains posent problème, tel l’aménagement de la piscine d’entraînement prévue à Aubervilliers, car sa construction signifierait la destruction des jardins ouvriers des Vertus, situés en bordure de la nationale.
Créés en 1935, ces jardins sont aujourd’hui menacés par un solarium, complexe ludo-aquatique, qui s’étendra sur un hectare. Rassemblés en un collectif, les jardiniers reconnaissent l’utilité de la piscine - on en manque à Aubervilliers ! -, mais ils estiment que le solarium pourrait très bien être placé sur le toit de la piscine afin de sauvegarder les jardins, ces jardins ouvriers qui offrent un espace de verdure et de détente aux riverains et des produits alimentaires sains aux jardiniers. La rumeur dit que s’ils échappaient aux Jeux, ils pourraient être menacés par un plan de développement du fort d’Aubervilliers, après 2024…
En France : l’objectif du « zéro net » d’artificialisation des terres d’ici 2050 paraît bien éloigné
Ceci se produit alors qu’on ne cesse de nous parler du potentiel que représente l’agriculture urbaine, et que l’on devrait déployer sur les toits, le long des murs (agriculture verticale), dans les espaces verts, etc.
Comment peut-on évoquer le développement de nouvelles formes d’agriculture tout en supprimant allègrement celles qui sont en place depuis des décennies alors que le gouvernement français s’est engagé en 2018 à atteindre un zéro net d’artificialisation des terres ?
Dans un rapport de fin 2020, la Cour des comptes déplorait l’artificialisation de 965 000 hectares en dix ans « en raison principalement de l’étalement urbain couplé au développement des transports et des infrastructures ». Toujours selon ce rapport, le phénomène « concerne, à hauteur de 70 %, des terres agricoles riches ».
La surface agricole utilisée est en diminution constante en France. En 1950, cette surface représentait encore 63 % de la superficie du territoire national. Elle a régressé pour atteindre 54 % en 2000 et 52 % en 2018, ce qui dénote un léger ralentissement de la tendance. Mais on reste loin du « zéro net » promis pour 2050, date à laquelle tout hectare de terre artificialisé devra être compensé par un hectare recyclé ou revalorisé (comme si la perte d’un hectare de terre productive et riche d’activité biologique pouvait facilement être compensée par l’installation d’une superficie équivalente…).
Dans le monde, l’expansion urbaine future aura un impact sur la production agricole
Au niveau mondial, il n’existe pas de données complètes permettant de juger de l’importance d’un phénomène pourtant bien avéré au niveau local.
C’est probablement le travail effectué par C. Bren d’Amour et al., en 2017, qui aide le mieux à se faire une idée des conséquences futures sur l’agriculture de la progression des villes. Christopher Bren d’Amour et le groupe de scientifiques qui l’entourait s’accordent pour dire que le développement urbain représente une véritable préoccupation pour l’avenir dans la mesure où l’expansion des villes se fait aux dépens de terres qui sont les meilleures au monde. Cette perspective est particulièrement inquiétante en Afrique et en Asie, dans les régions connaissant une forte poussée des mégapoles.
Les projections des auteurs envisagent une perte de 1,8 à 2,4 % des superficies agricoles mondiales d’ici 2030, c’est-à-dire environ 30 millions d’hectares (à peu près équivalents à la surface agricole utilisée en France). L’essentiel de cette perte (80 %) se fera en Asie et en Afrique. Dans la mesure où les terres converties sont 1,77 % plus productives que la moyenne mondiale, on peut s’attendre à ce que la production agricole mondiale soit réduite de 3 à 4 % par rapport à celle observée en 2000. Il faut savoir qu’environ 60 % des surfaces irriguées dans le monde se trouvent à proximité de zones urbaines. En Asie, les pays les plus affectés seront la Chine, le Vietnam et le Pakistan (entre 5 et 10 % de diminution). En Afrique, le delta du Nil, en Égypte, sera très touché. Un quart des surfaces perdues au niveau mondial le seront en Chine.
On comprendra bien que dans la mesure où l’expansion de l’agriculture aux dépens de la forêt n’est pas sans risque [lire], la gestion durable des terres agricoles sera une question essentielle dans l’avenir, et dans ce cadre, celle de l’accroissement des zones urbaines représente une menace qui nécessitera de faire preuve d’une grande prudence et d’une capacité de repenser nos villes, leur développement et leur intégration dans le paysage agricole.
Il s’agira certainement de le faire au niveau mondial et des pays, mais surtout, il faudra commencer par le faire localement, dans notre quotidien le plus immédiat, y compris quand cela ne concerne « qu’un hectare » de jardins ouvriers.
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Pour en savoir davantage :
Écouter :
•É. Chaudet, JO dans le 93 : des jeux et des jardins, Les pieds sur terre, France Culture, 2021.
Lire :
•C. Michelin, Politique foncière - Atteindre « zéro » artificialisation nette en 2050, agri71.fr, 2020.
•Cour des Comptes, Les leviers de la politique foncière agricole, 2020.
•C. Bren d’Amour et al., Future urban land expansion and implications for global croplands, PNAS, 2017 (en anglais).
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Sélection de quelques articles parus sur lafaimexpliquee.org liés à ce sujet :
•COVID-19 : L’agriculture est-elle la grande coupable ? 2021.
•L’urbanisation de la faim : l’exode rural pousse la faim vers les villes, 2019.
•Mettre en œuvre la transition écologique : l’exemple de Totnes au Royaume Uni, 2019.
•La terre: une ressource essentielle menacée et inégalement distribuée, 2013.
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Dernière actualisation : mars 2021