Opinions

 

Télécharger   Nations Unies.pdf


Défis économiques mondiaux: le leadership analytique des Nations Unies*


par José Antonio Ocampo** et Jomo Kwame Sundaram***



À l’occasion de leur 70e anniversaire, les Nations Unies viennent de sortir leur publication phare « La situation économique et sociale dans le monde » (World Economic and Social Survey 2017 - Reflecting on Seventy Years of Development Policy Analysis). Publiée pour la première fois en janvier 1948 sous le titre « Rapport économique mondial » (World Economic Report), c’est la publication annuelle la plus ancienne qui analyse les défis économiques et sociaux. Le rapport de 2017 du World Economic and Social Survey (WESS) passe en revue 70 années de recommandations en matières de politiques dont beaucoup restent pertinentes à ce jour pour traiter les défis mondiaux et pour réaliser l’Agenda 2030 et les Objectifs de Développement Durable.


Créées en 1945 pour assurer la paix mondiale, les Nations Unies reposent sur une charte qui reconnaît que le progrès économique et social pour tous est une condition fondamentale d’une paix durable. Par conséquent, les Nations Unies ont analysé l’évolution économique et sociale au niveau mondial, depuis les années 1940. Leurs analyses ont depuis longtemps souligné l’interdépendance de l’économie mondiale et elles ont préconisé la coordination et la cohérence des politiques internationales pour un progrès économique et social équilibré, inclusif et durable.


L’image qui émerge est que les Nations Unies ont été à l’avant-garde sur beaucoup de questions, surtout quand il s’agissait de combler les écarts de niveau de bien-être humain tant à entre les pays qu’à l’intérieur de ceux-ci. Très tôt, ils ont exhorté les pays développés à soutenir le progrès économique et social dans les pays en développement, non seulement dans leur intérêt propre, en tant que partenaires commerciaux, mais aussi pour assurer les conditions d’une stabilité économique plus grande et d’un développement mondial équitable. Ils ont également, depuis longtemps, préconisé des transferts financiers et technologiques prévisibles vers les pays en développement, ainsi que l’ouverture des marchés des pays développés aux exportations provenant des pays en développement.


Les Nations Unies ont aussi imaginé des approches multilatérales innovantes pour le renforcement des institutions afin de combler des lacunes. Au cours des années 1960, le WESS a fourni la logique analytique pour créer la Conférence des Nations Unies pour le commerce et le développement  (CNUCED) et l'Organisation des Nations Unies pour le développement industriel (ONUDI) afin d’appuyer les pays en développement cherchant à industrialiser et à profiter de façon équitable du commerce et de l’investissement international.


L’analyse faite dans le WESS de 2017 souligne l’importance des analyses faites par la série. Le numéro de 1951-1952 identifie trois défis principaux : « le maintien de la stabilité économique, ceux qui ont à voir avec les déséquilibres chroniques des paiements internationaux, et ceux qui découlent des progrès relativement lents faits par les pays sous-développés ». Il est inutile de dire que ces défis restent pertinents aujourd’hui.


Le numéro de 1956 mettait en garde contre le monétarisme et les solutions de politique monétaire, avançant « qu’il ne parait pas plus probable qu’une seule politique économique puisse régler toutes les causes de déséquilibre… qu’un seul médicament ne puisse guérir de toutes les maladies ». Dans la même veine, le numéro de 1959 reconnaît « les méfaits d’une forte inflation » mais estimait que « la stagnation économique ou le chômage de masse n’est pas un prix acceptable à payer pour la stabilité des prix et l’équilibre de la balance des paiements ».


Le numéro de 1965 avertissait que de lier l’aide réduirait son efficacité, que le fardeau de la dette extérieure s’accroîtrait rapidement et que les capitaux iraient des pays en développement vers les pays développés.


En 1971, le WESS alertait sur les « effets perturbateurs des mouvements massifs de capitaux à court terme » et argumentait en faveur d’un « code de conduite et d’un mécanisme international de surveillance » pour réduire ces effets perturbateurs. Il mettait aussi en garde sur le fait que les mécanismes de gouvernance du FMI limitaient le poids des pays en développement, et proposait que les Droits de tirage spéciaux soient utilisés pour financer le développement. 


Au cours des années 1970 et 1980, le WESS a, de façon répétée, averti que de faire porter le poids de l’ajustement uniquement aux pays déficitaires non seulement contribuerait à freiner leur croissance, mais exercerait aussi une pression déflationniste sur l’économie mondiale. Les Nations Unies demandèrent la mobilisation de finances additionnelles par les pays excédentaires et les institutions financières internationales à  des conditions moins rigoureuses, afin de soutenir une reprise vigoureuse et éviter de fortes pertes en termes de niveau de bien-être.


En 1982, le WESS mettait en garde contre la réticence d’adopter des politiques expansionnistes lors de la crise mondiale, de peur de miner la confiance des investisseurs : « sans des politiques expansionnistes plus vigoureuses, la reprise manquera de force, les niveaux de la demande ne seront pas suffisants pour permettre la pleine utilisation de la capacité de production en place, et l’incitation à faire de nouveaux investissements restera faible ».


Le riche héritage de « La situation économique et sociale dans le monde » (WESS) nous rappelle de la pertinence continuelle des institutions multilatérales, surtout face à des défis majeurs. L’économie mondiale a besoin d’institutions fortes et d’actions internationales concertées, tout en assurant la participation et en donnant voix au chapitre aux pays en développement. Ceci est particulièrement vrai quand il s’agit d’assurer la stabilité monétaire internationale et un commerce dynamique qui sont critiques pour le développement mondial.


Cela souligne aussi que la solidarité internationale est nécessaire pour revigorer et reconstruire l’économie mondiale ainsi qu’un développement inclusif et équitable. Le développement durable est nécessairement multidimensionnel et souvent spécifique à un contexte donné. Il demande des capacités et des compétences publiques, une planification stratégique du développement et une bonne adaptation aux conditions locales.



------------------------


Publié initialement sur Interpress Service, le 3 août 2017, sous le titre « UN Analytical Leadership in Addressing Global Economic Challenges » http://www.ipsnews.net/2017/08/un-analytical-leadership-addressing-global-economic-challenges/


**  Secrétaire exécutif de la Commission économique des Nations Unies pour l’Amérique Latine et les Caraïbes (CEPALC) de 1998 à 2003 et Secrétaire général adjoint des Nations Unies aux affaires économiques et sociales de 2003 à 2007.


*** Jomo Kwame Sundaram, ancien professeur d’économie, a été Assistant Secrétaire Général des Nations Unies pour le développement économique, Assistant Directeur Général de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et a reçu le Prix Wassily Leontief pour avoir fait avancer les frontières de la pensée économique en 2007.


———————

Article déjà paru sur lafaimexpliquee.org et liés à ce sujet :


  1. Les pays s’apprêtent à approuver de nouveaux Objectifs de développement durable pour les 15 années à venir : Quoi de neuf par rapport aux OMD en 2000 ?, 2015

Dernière actualisation: août 2017

  1. Retour vers Opinions

Pour vos commentaires et réactions: lafaimexpl@gmail.com