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4 novembre 2023


Deux ans après le Sommet sur les systèmes alimentaires : beaucoup de rhétorique et de réunions, très peu de résultats tangibles


En septembre 2021, se tenait à New York le Sommet sur les systèmes alimentaires organisé conjointement par le Secrétariat général des Nations Unies et le Forum économique mondial (WEF), un consortium de grandes entreprises multinationales connu pour la tenue à Davos, en début de chaque année, d’un forum international regroupant les principaux dirigeants économiques et politiques mondiaux [lire].


On se rappellera que cet étrange Sommet sur les systèmes alimentaires, sans autre objectif que celui, très vague, « de se réunir en vue de construire ‘un monde plus juste dans lequel personne n'est laissé de côté’ », s’est caractérisé par une absence de résultats concrets, de plan d’action ou de « programme pour sauver le monde » [lire]. Il a cependant été l’occasion de promouvoir une nouvelle forme de multilatéralisme reposant sur des coalitions fondées sur le volontariat de ses membres - ressemblant singulièrement à des groupes d’intérêts - dans lesquelles les grandes entreprises privées sont appelées à avoir une place de choix dans la mesure où elles sont censées « avoir le savoir-faire, la capacité de gestion et les ressources nécessaires pour faire bouger les choses » [lire p.4], dans la direction indiquée par la nouvelle vision pour l’agriculture du Forum de Davos [lire].


Avant même sa tenue, les organisateurs du Sommet, en particulier le Secrétaire général des Nations Unies, avaient d’ailleurs essuyé les critiques à ce sujet de la part des Organisations de Producteurs et de la Société Civile (OP/OSC) [lire].


Deux ans plus tard, des inventaires ont été réalisés afin d’évaluer les conséquences du Sommet. Nous en présentons deux ici : celui fait par le Secrétaire général des Nations Unies [lire en anglais], et celui, autonome, mené par l’Espace de consultation populaire du Mécanisme régional africain de la Société Civile et des Peuples Autochtones (MSCPA) [lire en anglais].





Rapport du Secrétaire général des Nations Unies : une rhétorique pompeuse, des processus complexes et chronophages et, pour l’instant, peu d’impact sur le terrain


Dans son premier chapitre, le rapport souligne que le Sommet « a marqué une étape significative pour la communauté mondiale dans l’accélération des actions en faveur de systèmes alimentaires plus durables, plus inclusifs, plus équitables et plus nutritifs » et qu’il a exhorté sans son Engagement d’action « les pays à dépasser la rhétorique et adopter des mesures concrètes en vue de mettre en œuvre les ‘feuilles de routes nationales pour les systèmes alimentaires’ nouvellement adoptées ».


Cependant, pour beaucoup d’observateurs, cet Engagement d’action n’était qu’une nouvelle déclaration rhétorique sans aucune définition de mesures claires concrètes. En d’autres termes, ce sommet a accouché d’une souris du point de vue de l’action dans tous les domaines sauf un, celui de la gouvernance (spontanée) [lire ici p.5-6 et ici p.4].


Dans son deuxième chapitre, qui confirme largement ce point de vue, le rapport fait l’état de l’avancement des travaux initiés par le Sommet en listant les rapports d’activité que les pays ont préparés pour répondre une série de questions préétablies. L’analyse de ces rapports pays porte essentiellement sur les processus mis en œuvre pour influencer les politiques nationales, mais ne dit pas grand-chose sur le contenu des politiques ainsi promues dans ces pays, sauf dans une poignée d’entre eux.


Pour ce qui est des processus, le rapport indique que leur participation est fortement dominée par des universitaires, par le secteur privé et par les organisations producteurs, et qu’ils sont majoritairement (63 %) gérés par les ministères de l’Agriculture.


Enfin, le rapport souligne la difficulté d’évaluer la valeur ajoutée générée par les coalitions mondiales censées favoriser le transfert de bonnes pratiques, le renforcement des capacités, l’amélioration de la cohérence et la mobilisation des ressources.


L’impression générale laissée par le rapport est que l’effet du Sommet s’est fait sentir essentiellement dans les processus - bien que ceux-ci apparaissent plutôt morcelés et manquant d’orientation -, mais très peu au niveau de la substance et des actions.



Rapport de l’Espace de consultation populaire du Mécanisme régional africain de la Société Civile et des Peuples Autochtones : priorité à la réduction de la dépendance sur les importations de nourriture et à la promotion de la souveraineté alimentaire


Ce rapport, qui s’appuie notamment sur cinq études de cas assez fines (Kenya Mali, Maroc, République du Congo et Zambie), identifie les « mesures pouvant aider à mettre un terme à la dépendance sur les importations de nourriture et permettre de concrétiser une vision de souveraineté alimentaire au bénéfice des peuples et territoires africains ». Elles comprennent :


  1. Une réforme des processus de politiques pour établir une prise de décision démocratique fondée sur les droits humains et ne laissant aucune place aux intérêts économiques des grandes entreprises.

  2. La priorité accordée aux politiques publiques nationales dans la détermination des investissements, et non une dépendance sur le financement extérieur.

  3. La mise en œuvre d’une transition d’un scénario reposant sur « la révolution verte, l’agriculture industrielle, la prépondérance du secteur privé et les filières d’exportation » vers un scénario basé sur « l’agriculture familiale, l’agroécologie et les marchés territoriaux ».

  4. L’obtention de la garantie par les États de « l’accès et du contrôle par la population de la terre, de l’eau et des semences ».

  5. Des mesures urgentes à prendre par les gouvernements pour orienter les actions et les investissements en faveur de « l’égalité des genres et de l’accès aux opportunités par la jeunesse ».


Ce sont là des exigences qui s’opposent fortement aux orientations mises en avant lors du Sommet sur les systèmes alimentaires de 2021.




Contrairement au rapport du Secrétaire général, ce rapport autonome est beaucoup plus concerné par les politiques publiques et les actions à mettre en œuvre et il réitère les critiques déjà faites auparavant par les OP/OSC sur le Sommet vu comme une manière « de légitimer et d’institutionnaliser la prise de contrôle par les entreprises de la gouvernance de l’alimentation mondiale ».


Il conclut en affirmant qu’il reste beaucoup de choses à faire avant que le processus de transformation des systèmes alimentaires se fasse de façon inclusive. Si la rhétorique des organisateurs du Sommet sur les systèmes alimentaires laisse une place à des termes tels que « souveraineté alimentaire », « agroécologie » et « changement transformationnel », la réalité des processus au niveau des pays reste, selon les auteurs, bien différente et peu inclusive et faisant la promotion de solutions puisées dans les modèles éculés de la Révolution verte [lire].



Conclusion


Ce que l’on peut tirer provisoirement de ces deux rapports, c’est que le Sommet sur les systèmes alimentaires qui devait les transformer pour contribuer à la construction d’un « monde plus juste dans lequel personne n'est laissé de côté » n’a guère eu d’impact réel sur le terrain.


Il a simplement permis de semer la confusion en multipliant des processus souvent dominés par les grandes entreprises de l’agro-industrie assistées par des universitaires et autres experts, desquels les organisations de producteurs et de la société civile sont fréquemment exclues ou marginalisées.


L’absence de résultats concrets ne devrait cependant pas rassurer ceux qui craignent une mainmise accrue des entreprises sur les systèmes alimentaires. Loin de là ! En effet, la machinerie a été installée et les États semblent vouloir laisser la voie libre au secteur privé, et ils ne donnent pas signe d’envisager de s’appuyer sur la société civile.


Pendant que l’on occupe toutes les parties prenantes avec des processus complexes et chronophages, la transition déjà en cours avance en toute discrétion, nous menant tout droit, à marche forcée, vers un monde qui accorde la priorité aux profits d’une minorité de possédants et de leurs entreprises, au dépens de la masse des producteurs et des consommateurs et de la durabilité de l’alimentation mondiale [lire].


Bref, vers un monde tout sauf désirable, où les inégalités se creuseront inexorablement [lire].



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Pour en savoir davantage


  1. Mécanisme régional africain de la Société Civile et des Peuples Autochtones (MSCPA), They will feed us! A people’s route to African food sovereignty - Autonomous assessment of UNFSS National Pathways and Dakar 2 Summit Compacts, in collaboration with Civil Society and Indigenous Peoples’ Mechanism (CSIPM), 2023 (en anglais).

  2. Nations Unies, Making food systems work for people and planet - UN Food Systems Summit +2 - Report of the Secretary-General, UN Food Systems Summit +2 Stocktaking Moment, 2023 (en anglais).


Sélection de quelques articles parus sur lafaimexpliquee.org liés à ce sujet :


  1. La « transition agricole et alimentaire » est en cours - Neuf changements nous indiquent vers quel monde elle nous mène, 2023.

  2. Gouvernance : unis pour décider ou divisés pour subir ? 2022.

  3. Opinions : Un étrange Sommet par George-André Simon, 2021.

  4. Opinions : Un autre faux départ en Afrique, vendu grâce aux mythes de la Révolution verte, par Timothy A. Wise et Jomo Kwame Sundaram, 2021.

  5. La “Nouvelle vision pour l’agriculture” du Forum de Davos est en marche…, 2017.

 

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Dernière actualisation :    novembre 2023