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23 novembre 2023


Climat : inquiétude et inaction mondiale, alors que s’ouvre la COP 28 de Dubaï



Du 30 novembre au 12 décembre prochain se tiendra à Dubaï la 28e Conférence des Parties (COP) sur le changement climatique. Organisée dans un pays, les Émirats arabes unis, symbole de l’extraction d’énergies fossiles, et présidée par le PDG de la compagnie pétrolière nationale (Abu Dhabi National Oil Company) et actuel ministre de l’Industrie et des Technologies, la COP 28 se présente sous les auspices les plus inquiétants.


En effet, tous les voyants ou presque sont au rouge, comme le montre une avalanche de rapports, les uns plus préoccupants que les autres. Ils nous indiquent que l’humanité n’a pas encore pris pleinement conscience de l’importance de la crise climatique pourtant déjà bien en cours. Elle n’a pas davantage pris les mesures indispensables pour en réduire l’ampleur et en prévenir les conséquences dramatiques.


Les émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES) ne cessent de croître


Pour empêcher une augmentation de la température moyenne mondiale de plus de 2 °C au-dessus du niveau préindustriel (engagement minimal pris lors de la COP21 de Paris, en 2015), les émissions totales de GES dans le monde devraient diminuer au rythme annuel de 6 %.


Or le rapport 2023 du GIEC montre que ces émissions ont continué de croître au rythme soutenu de 2,26 % entre 1990 et 2019 (dernière année pour laquelle des chiffres sont disponibles) [lire p. 2-4 et voir la Figure 1, ci-dessous].


Figure 1 Évolution des émissions de GES anthropiques entre 1850 et 2019



Source: GIEC, 2023

télécharger fichier pdf: GES_tendance.pdf


En 2023, la température mondiale moyenne devrait battre un record vieux de 125 000 ans !


Début novembre, l’Organisation mondiale de la météorologie annonce par un communiqué qu’il est pratiquement certain que 2023 sera l’année la plus chaude depuis que l’on relève systématiquement les températures, « en raison des records de chaleur enregistrés à la surface du globe (terres émergées et océans confondus) depuis le mois de juin ». Elle rajoute : « L’année prochaine pourrait être encore plus chaude » [lire en anglais]. En France, 2023 constituera d’ailleurs très probablement une nouvelle anomalie qui s’ajoutera à celle observée en 2022 [lire].


Quant à la directrice adjointe de Copernicus, le groupe d’experts de l’Union européenne sur le changement climatique, elle a déclaré qu’il est très probable que l’année 2023 sera la plus chaude depuis… 125 000 ans !!


De son côté, le Secrétaire général des Nations Unies renchérit en annonçant que la trajectoire actuelle, si elle se poursuit, nous mènerait tout droit vers une augmentation de la température moyenne terrestre de 2,5 à 2,9 °C d’ici 2100 !


2023, année riche en événements météorologiques extrêmes


Les phénomènes météorologiques extrêmes ont été observés aux quatre coins du monde pendant l’année 2023. En voici quelques exemples :


  1. En janvier, aux États-Unis, épisode de pluie et neige dans l’ouest du pays (21 victimes) et violentes et fréquentes tornades dans le centre du pays. 

  2. En mars, le terrible cyclone Freddy fait 400 victimes au Mozambique et au Malawi.

  3. En avril, des vagues de chaleur extrême en Asie (Bangladesh, Inde, Laos, Thaïlande) et dans la zone méditerranéenne (Maroc, Espagne).

  4. En mai/juin, mégafeux au Canada avec un effet désastreux sur la qualité de l’air dans une grande partie du nord des États-Unis. Des centaines de victimes du cyclone Mocha au Myanmar et au Pakistan et de nombreuses victimes de la chaleur en Inde.

  5. En juillet, vagues de chaleur sur toute l’Eurasie et aux États-Unis, faisant de nombreuses victimes.

  6. En août, la pire catastrophe naturelle de l’histoire de la Slovénie, les inondations causant des dégâts impressionnants.

  7. En octobre, plusieurs violentes tempêtes frappent l’Europe du Nord.

  8. En novembre, en Somalie et au Kenya, des inondations terribles ont fait de nombreuses victimes et déplacé près d’un million de personnes.


Tous ces événements ont entraîné des dommages très importants, ce qui a affecté les conditions de vie des populations, mis les compagnies d’assurances à rude épreuve et a nécessité la mobilisation de ressources financières, matérielles et humaines considérables par les États concernés.


Les conséquences négatives pour la production alimentaire


Les événements météorologiques ont aussi un impact spectaculaire sur la production alimentaire.


Un rapport du Parlement européen souligne l’effet particulièrement délétère des vagues de chaleur et des sécheresses. Elles peuvent stopper la floraison et empêcher la formation de graines et causer d’importantes baisses de productivité. Elles peuvent également entraîner une forte mortalité parmi les animaux d’élevage [lire en anglais].


Dans son rapport sur l’avenir de l’alimentation [lire le résumé en français], la FAO recense les effets du changement climatique sur la production agricole et alimentaire. Ils comprennent notamment : 


  1. Une plus grande pénibilité du travail agricole et davantage de danger pour la santé des agriculteurs ;

  2. Une modification de la composition nutritionnelle des aliments, du fait de l’accroissement de la concentration de CO2 dans l’air ;

  3. Une augmentation des risques lors de la conservation des aliments, avec l’élévation de la température ;

  4. Une baisse des rendements des cultures et des pâturages et la nécessité de changer les variétés et les espèces végétales et animales utilisées, au fur et à mesure que le climat évolue, car elles ne sont plus adaptées aux nouvelles conditions ;

  5. Le pullulement de ravageurs et de maladies, et l’apparition de nouvelles espèces et de nouvelles maladies tant pour les plantes que pour les animaux d’élevage ;

  6. Des perturbations dans la pollinisation, car les cycles des plantes et des pollinisateurs peuvent ne plus être bien synchronisés ;

  7. Des conséquences comparables s’observent aussi dans le cas des forêts et des systèmes aquatiques.


L’ensemble de ces effets pourraient se traduire, à terme, par une diminution des disponibilités alimentaires et une augmentation des prix des produits agricoles et alimentaires [lire en anglais p. 311-314].


Les migrations climatiques sont en cours


Le Rapport sur le développement dans le monde, 2023 de la Banque mondiale [lire en anglais] indique que le changement climatique induira des mouvements de population considérables. Il précise (page 2) que « le changement climatique amplifie les moteurs de la migration » en soulignant que « environ 40 % de la population mondiale… vit dans des zones exposées aux effets du changement climatique : manque d’eau, sécheresse, stress thermique, montée du niveau de l’eau et éléments extrêmes tels que les inondations et les cyclones tropicaux ». Il ajoute que « les conséquences du changement climatique menacent l’habitabilité de régions entières aussi diverses que le Sahel, les basses terres du Bangladesh et le delta du Mékong », sans oublier les petites îles où se posent la question de la relocalisation de la population.


Pour sa part, l’UNICEF note qu’environ 43,1 millions d’enfants ont dû se déplacer du fait de catastrophes météorologiques en 6 ans - soit à peu près 20 000 enfants déplacés par jour ! - 95 % d’entre eux à la suite d’inondations et de tempêtes [lire].




Lutte contre le changement climatique : tous les indicateurs sauf un sont en berne


Bien que les signes s’accumulent d’une catastrophe en cours qui risque encore de s’amplifier pour atteindre des niveaux sans précédent, et bien que dans le discours de responsables politiques on observe une prise de conscience de la gravité de la situation, l’humanité semble impuissante à prendre les mesures requises pour éviter le pire.


C’est ce que montre le rapport du World Resources Institute (WRI) sur l’État de l’action climatique pour 2023, à partir de l’analyse de 42 indicateurs [lire en anglais].


Les auteurs du rapport ont trouvé qu’un seul de ces nombreux indicateurs (la part des véhicules électriques dans les ventes totales d’automobiles) est sur la trajectoire qui lui permettrait d’atteindre son objectif d’ici 2030 !


Pour le reste, la tendance montre une action très insuffisante. Par exemple, le rythme de sortie du charbon devrait être 7 fois plus rapide que celui observé, tandis que la vitesse de diminution de la déforestation devrait être 4 fois plus élevée.


Ils se consolent en notant des évolutions positives telles que, par exemple, l’accroissement d’un tiers en 2023 de la vitesse de développement des énergies renouvelables solaires et éoliennes, et la baisse de 30 % du rythme de la déforestation au Brésil au cours des six premiers mois du mandat du président Lula.


Dans le domaine de l’agriculture et de l’alimentation, sur les 6 indicateurs sélectionnés par le WRI, un seul évolue dans la bonne direction, mais pas assez vite (quantité de viande de ruminant produite/hectare), 3 progressent bien trop lentement (quantité de GES émis/calorie produite ; rendement des cultures par hectare ; consommation de viande de ruminant par personne), et 1 va dans la mauvaise direction (part de la production perdue). Quant au dernier, les données manquent pour le calculer (gaspillage alimentaire). On peut regretter que l’analyse du WRI ne porte pas sur les filières alimentaires dans leur ensemble, et notamment ne porte pas sur le stockage, la transformation et la distribution qui représentent pourtant 30 % des émissions de GES liés à l’alimentation [lire p.5-6].


Conclusion (pessimiste, car réaliste)


Ce rapide tour d’horizon montre que la COP28 va se tenir dans des circonstances pour le moins difficiles, tant du point de vue du symbole que représente son organisation dans un pays pétrolier que du contexte de dégradation du climat, d’amplification des impacts du dérèglement climatique et d’incapacité dans laquelle se trouve l’humanité d’agir pour diminuer les émissions de GES.


Le seul espoir permis est que la COP28 produise une bonne surprise, même si cela paraît bien peu probable.


Plus généralement, on ne peut qu’être pessimiste à moyen terme, et douter que l’humanité puisse se ressaisir avant qu’il ne soit trop tard.




Rien n’indique, en effet, que les dirigeants politiques soient décidés à prendre les mesures qui s’imposent. Bien au contraire, la question du climat comme priorité semble être en perte de vitesse comme en témoignent les résultats de la récente élection présidentielle en Argentine et la perspective d’une relance de l’extraction des énergies fossiles en Europe (en Grande-Bretagne, aux Pays-Bas - avec la victoire de l’extrême droite - et même en France - dans le Sud-Ouest), et que l’on voit se profiler, l’an prochain, la possibilité d’un retour de Trump au pouvoir aux États-Unis.


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Pour en savoir davantage


  1. WRI, State of Climate Action 2023. World Resources Institute, 2023 (en anglais). 

  2. IPCC, Section 2: Current Status and Trends In: Climate Change 2023: Synthesis Report. Contribution of Working Groups I, II and III to the Sixth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change [Core Writing Team, H. Lee and J. Romero (eds.)]. IPCC, Geneva, Switzerland, pp. 35-115 (en anglais), 2023.

  3. FAO, L’avenir de l’alimentation et de l’agriculture: Moteurs et déclencheurs de transformation – Résumé, FAO Rome, 2023.

  4. FAO, The future of food and agriculture – Drivers and triggers for transformation, The Future of Food and Agriculture, no. 3, FAO Rome, 2022 (en anglais).

Sélection de quelques articles parus sur lafaimexpliquee.org liés à ce sujet :


  1. Le Haut conseil pour le climat fustige l’inaction de la France devant le changement climatique, 2023.

  2. En dehors des sentiers battus - une solution pour diminuer les GES en réduisant les inégalités, Changer de paradigme : pensez les crises et leurs solutions en dehors des sentiers de la pensée économique traditionnelle, 2022.

  3. Le climat change,... l’alimentation et l’agriculture aussi, 2021.

  4. Opinion : Injustice et défilade climatique à Glasgow par Jomo Kwame Sundaram et Anis Chowdhury, 2021.

  5. Les inégalités de revenu affectent le niveau d’émission des gaz à effet de serre et la vulnérabilité aux conséquences du changement climatique, 2020.

  6. Lutter contre le changement climatique au quotidien, 2020.

 

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Dernière actualisation :    novembre 2023