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20 octobre 2014



Les Principes pour un investissement responsable dans l’agriculture et les systèmes alimentaires protégeront-ils vraiment les intérêts des communautés rurales ?


Approuvés après de longues négociations par la 41e session du Comité de la sécurité alimentaire mondiale (CSA), les Principes pour un investissement responsable dans l’agriculture et les systèmes alimentaires sont présentés comme une avancée indéniable vers l’assurance d’investissements plus favorables aux communautés rurales.




Tout le monde s’accorde pour dire que l’investissement est indispensable pour atteindre une plus grande sécurité alimentaire, une meilleure nutrition et pour favoriser la réalisation progressive du droit à une alimentation adéquate. Ainsi, la crise alimentaire a été expliquée au moins en partie par la baisse des investissements agricoles au cours des décennies qui l’ont précédée.


Mais ce qu’il s’agit de promouvoir à présent, ce n’est pas n’importe quel type d’investissements. Des investissements qui contribueraient à l’augmentation de la production agricole et alimentaire tout en mettant les populations rurales - celles qui souffrent le plus de la faim - dans une situation de plus grande vulnérabilité, seraient clairement contreproductifs dans la recherche d’une plus grande sécurité alimentaire et d’une meilleure nutrition. D’où la nécessité de respecter un certains nombre de principes au moment d’investir. Cette nécessité est devenue d’autant plus cruciale que l’augmentation des prix alimentaires observée dès le milieu des années 2000 a entrainé un regain d’investissements privés qui se sont souvent traduits par un accaparement des terres utilisées par les communautés rurales par des opérateurs économiques nationaux ou étrangers.


Malheureusement, les principes approuvés par le CSA « sont d'application facultative et non contraignants » ce qui limite considérablement leur portée dans la vie ‘réelle’. Ces principes respectent donc intégralement la souveraineté des États qui peuvent allègrement les violer dans leur pratique quotidienne même s’ils les ont approuvés formellement, ce que - pour sûr - beaucoup d’entre eux ne manqueront pas de faire.


Quels sont ces principes ?


        1. 1.Contribuer à la sécurité alimentaire et à la nutrition : durabilité et qualité de la production, équité dans les revenus générés, transparence et efficacité des marchés, meilleures conditions pour l’utilisation de l’alimentation

        2. 2.Contribuer à un développement économique durable et sans exclusion et à l'éradication de la pauvreté : création d’emplois, respect des règles de l’OIT sur le droit du travail, contrats justes, partenariats et coopération, consommation durable

        3. 3.Favoriser l'égalité entre les sexes et l'autonomisation des femmes : non discrimination, équité, accès à la terre, participation

        4. 4.Faire participer les jeunes et renforcer leur autonomie : accès à la terre, formation

        5. 5.Respecter les régimes fonciers applicables aux terres, aux pêches et aux forêts et l'accès à l'eau : respect des droits légitimes

        6. 6.Conserver et gérer de manière durable les ressources naturelles, renforcer la résilience et réduire les risques de catastrophe : air, terre, sol, eau, forêts, biodiversité et ressources génétiques, déchets et pertes, résilience, changement climatique, bonnes pratiques technologiques

        7. 7.Respecter le patrimoine culturel et le savoir traditionnel et favoriser la diversité et l'innovation : compétences et les pratiques traditionnelles, rôle des peuples autochtones et des communautés locales dans l'agriculture et les systèmes alimentaires, contributions des agriculteurs notamment à la sélection des semences

        8. 8.Promouvoir une agriculture et des systèmes alimentaires sûrs et sains : sécurité sanitaire, bien-être des animaux, santé végétale, intrants et environnement

        9. 9.Intégrer des structures de gouvernance, des procédures et des mécanismes de recours qui soient ouverts à tous et transparents : État de droit, partage d’informations, participation, médiation, droits

        10. 10.Évaluer les incidences et y remédier, et favoriser l'obligation de rendre compte : indicateurs, évaluations indépendantes, corrections.


La responsabilité de la mise en oeuvre de ces principes est collective, c’est-à-dire que personne n’en est vraiment responsable... même pas les États qui sont pourtant désignés comme les premiers responsables de la sécurité alimentaire.


D’ailleurs, d’après le document approuvé par les CSA, la mise en oeuvre par les États de ces principes est soumise aux « obligations existantes découlant du droit national et international, et [...] aux accords internationaux relatifs au commerce et à l'investissement » et il s’agit de respecter les « traités ou [...] contrats relatifs aux investissements ».


Bref, ces principes restent volontaires, leur application se fait à coup d’«encouragements » et reste soumise à tous les accords préexistants ce qui les rend au mieux subsidiaires et grèvera leur application véritable.


L’approbation des principes par les CSA est certes un progrès, mais il reste très limité. Il est limité car les principes approuvés ne seront mis en oeuvre que sur la base de volontariat, ne prennent pas la prééminence sur d’autres principes et accords préexistants. Les principes eux-même ont une faiblesse majeure, celle de ne pas exiger l’approbation des investissements par les communautés rurales concernées mais simplement leur information et leur consultation, ce qui veut dire que l’on pourra forcer la main à ces communautés.


On peut sans risque gager que pas grand chose ne changera sur le terrain malgré cette approbation en grande pompe et que l’on devra très probablement, comme c’est le cas de la mise en oeuvre du droit à l’alimentation [lire], constater dans quelques temps que bien des investissements continuent de menacer la survie de nombreuses communautés rurales et que rien n’a fondamentalement changé sous le soleil. Espérons au moins que les évaluations mentionnées dans le 10e principe seront véritablement indépendantes et donneront une idée réaliste de ce qui se passe sur le terrain et aboutiront peut-être à des « corrections » à l’avenir.


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Lire:


- Comité de la sécurité alimentaire mondiale, Principes pour un investissement responsable dans l’agriculture et les systèmes alimentaires, octobre 2014


 

Dernière actualisation:    octobre 2014

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