Nouvelles

 

18 mars 2014



La faim est une question politique: elle ne pourra être vaincue sans une plus grande démocratisation


Olivier De Schutter, Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit à l’alimentation, vient de soumettre son rapport terminal au Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU, au terme de son mandat de six ans.


Il y souligne le caractère éminemment politique de la question de l’alimentation et de la faim, et en déduit que, si la faim et la malnutrition peuvent être vaincues, cela ne pourra se faire que si une plus grande démocratisation permettra que des stratégies nationales fondées sur le droit à l’alimentation soient «élaborées conjointement par les partenaires concernés, y compris les groupes les plus touchés par la faim et la malnutrition» et que leur mise en oeuvre fasse l'objet d'un contrôle indépendant. Plus de démocratie, c’est aussi ce qui est requis au niveau mondial, sur le modèle du Comité de la sécurité alimentaire mondiale (CSA) qui, en rassemblant «les gouvernements, la société civile, les institutions internationales et le secteur privé» permet «de confronter les unes aux autres différentes visions de la sécurité alimentaire.» D’après De Schutter, d’autres organes de gouvernance mondiale, telle l’OMC, devraient s’aligner sur le cadre stratégique fourni par le CSA.


Dans une déclaration faite le 10 mars dernier, O. De Schutter a aussi précisé que «les pays riches doivent progressivement rompre avec les politiques agricoles tournées vers l’exportation et permettre au contraire aux petits agriculteurs des pays en développement d’approvisionner les marchés locaux. Ils doivent également refréner leurs revendications grandissantes de terres agricoles mondiales en maîtrisant la demande en alimentation animale et en agrocarburants, et en réduisant les gaspillages alimentaires. »





Le rapport fait aussi un certain nombre de recommandations plus techniques fondées sur un diagnostic précis. Il souligne que  la révolution verte fondée sur une «utilisation de variétés végétales à haut rendement, l’augmentation de l’irrigation, la mécanisation de la production agricole et le recours à des pesticides et à des engrais azotés [...] qui ont permis une augmentation du volume de production des principales céréales (maïs, blé et riz, notamment) et du soja» a conduit à:


        1. une extension des monocultures

        2. une baisse importante de la biodiversité agricole

        3. une érosion accélérée des sols

        4. la pollution des eaux potables et l’augmentation de leur teneur en phosphore, l’eutrophisation qui stimule la croissance des algues et une baisse de l’oxygène dissous nécessaire aux poissons

        5. l’émission massive de gaz à effets de serre.


Il souligne aussi les dangers que représentent la croissance de la production non durable de viande (demande accrue en production végétale et pollution) et les caractéristiques discriminantes des politiques agricoles mises en oeuvre dans la plupart des pays avec leurs conséquences telles que l’exode rural, la dépendance croissante de certains pays pauvres envers les importations alimentaires, une alimentation de plus en plus riche en sel, sucre et graisses, et les déséquilibres révélés à l’occasion de la crise de 2007-2008. Il s’insurge aussi contre les politiques de soutien au développement de la production d’agrocarburants et le gaspillage alimentaire.


Enfin, il met en garde contre le risque de donner une importance excessive à la nécessité d’augmenter la production alimentaire, alors que la question principale est la façon de laquelle cette augmentation se réalisera, puisqu’il s’agit «d’assurer la transition vers une production et une consommation durables et de réduire la pauvreté en milieu rural» en faisant en sorte que les petits producteurs participent et bénéficient de la croissance agricole.


Pour O. De Schutter, le passage rapide à des modes de production agroécologiques s’impose «de toute urgence» pour répondre à ces défis et «améliorer la résistance et la durabilité des systèmes alimentaires». Il rejoint en cela des recommandations faites par le PNUE, la FAO et Bioversity International. Il affirme aussi «que la promotion de l’agroécologie ... pourrait revêtir une importance particulière pour les paysans à court de liquidités qui travaillent dans les milieux les plus difficiles et qui ne sont pas en mesure de passer à des formes d’agriculture à fort capital, ou ne le souhaitent pas».


Il s’agit donc bel et bien de proposer un nouveau modèle alimentaire mondial, «centré sur le bien-être, la résilience et la durabilité pour remplacer le modèle productiviste et, ainsi, mieux favoriser la pleine réalisation du droit à une alimentation adéquate». Pour y arriver, il propose toute une série de réformes interdépendantes, conscient cependant que les mettre en oeuvre suscitera une forte résistance de la part de ceux qui profitent du système actuel: bénéficiaires de fortes subventions agricoles, surtout dans les pays de l’OCDE, grands groupes agroalimentaires dominant les marchés mondiaux, notamment, que seul le développement démocratique et le renforcement des systèmes alimentaires locaux pourront contrecarrer. Il s’agira de faire basculer des politiques agricoles fondées essentiellement sur une politique de prix bas, vers une politique fondée sur le respect des droits.


Ne se faisant guère d’illusions sur la généralisation des programmes de protection sociale, O. De Schutter reste un partisan des prix agricoles bas (il avait notamment formulé en octobre 2012 l’idée de créer un fonds mondial de la protection sociale, qui malheureusement n’a encore eu que peu d’écho, hormis un appui, sans suite pour l’instant, du Parlement européen), pour que l’alimentation soit abordable pour les plus pauvres.


On peut se demander si le scénario proposé est vraiment réaliste: est-il possible de voir une diminution des subventions agricoles, une diminution du gaspillage et de la production d’agrocarburants si les prix alimentaires restent bas? Il parait plus logique de faire augmenter les prix alimentaires. Cela irait de pair avec une réduction par les gouvernements des pays de l’OCDE des subventions agricoles, sans pour autant créer trop de tensions avec leurs producteurs, et cela rendrait tous les opérateurs des filières alimentaires et les consommateurs plus attentifs à moins gaspiller. Cela ferait aussi des produits agricoles une matière première encore moins attractive pour la production d’agrocarburants. C’est d’ailleurs ce qui s’est produit en partie en 2007-2008 lors de la flambée des prix qui a vu l’Union européenne économiser sur ses subventions (une partie de ces économies a été utilisée pour financer la distribution d’engrais et de semences dans les pays du Sud dans le cadre de la Facilité alimentaire de l’Union européenne) et qui s’est accompagnée d’une prise de conscience accrue du problème du gaspillage alimentaire. Des prix plus élevés pour les produits agricoles les mettrait aussi à un niveau plus  proche de leur coût réel et assurerait une meilleure rémunération du travail des producteurs agricoles. Ce mouvement d’augmentation des prix pourrait même, comme certains l’ont proposé, être amplifié par une taxation de ceux des produits agricoles résultant des technologies les moins durables, ce qui favoriserait la diffusion de l’agroécologie (voir le livre de Trueba et MacMillan: Comment en finir avec la faim en période de crises, à paraitre prochainement en français). Bien entendu, une alimentation plus chère exigerait la mise en place de programmes renforcés de protection sociale afin d’assurer l’accès à la nourriture pour les plus pauvres.


Qu’adviendra-t-il des recommandations formulées par O. De Schutter? Qui le remplacera au poste de Rapporteur spécial?  Pour la première de ces questions, la réponse mettra certainement du temps à se concrétiser et dépendra avant tout de l’évolution des conditions politiques dans les pays les plus concernés par la faim, de l’équilibre politique au niveau international, essentiel pour  déterminer l’évolution future du rôle futur du CSA dans le moyen terme et de l’orientation que prendra le débat sur l’élimination de la faim. Pour l’instant, les thèses d’O. De Schutter sont loin de faire consensus, si l’on se réfère aux activités de la Nouvelle alliance pour la sécurité alimentaire et la nutrition ou les messages disséminés par Afrique Renouveau qui dépend du département de l'information de l'ONU à New York, ou les positions parfois contradictoires affichées par la FAO.



-------------------

Pour plus de détails:


Olivier De Schutter, Rapport final: Le droit à l’alimentation, facteur de changement, 2014

FAO, Agriculture et développement rural durable, Document sur les politiques 11, 2007

Lire aussi sur lafaimexpliquee.org:

  1. L’Afrique s’engage à en finir avec la faim en 2025: la priorité ira-t-elle enfin à l’agriculture familiale durable ?

  2. Le Droit à l’Alimentation: avancées et limites


-------------------------------

Pour que les politiques agricoles et alimentaires changent réellement, n’oubliez pas de signer la pétition: La faim, crime contre l’humanité

 

Dernière actualisation:    mars 2014

Pour vos commentaires et réactions: lafaimexpl@gmail.com