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13 Juin 2017



Prix agricoles bas, dette, suicides de paysans, grèves et interdiction d’achat de bovins pour l’abattage : la crise agricole indienne


Pendant des décennies, l’agriculture a été l’un des ressorts de la croissance indienne. Il y a presque 120 millions de paysans en Inde (recensement 2011) et l’agriculture emploie environ 480 millions de personnes. Le secteur agricole représentait 17,5% du PIB de l’Inde en 2015.


Deuxième producteur agricole mondial (plus de 300 milliards de dollars en 2014), l’Inde était le premier exportateur de riz en 2013 (pour une valeur de plus de 8 milliards de dollars) ainsi que le 4e exportateur de viande bovine en 2013 (4,5 milliards de dollars).


Malgré cela, l’Inde reste le pays au monde avec le plus de personnes chroniquement sous-alimentées (195 millions en 2015) dont la majorité est constituée par des paysans.


Au cours de ces dernières années, la croissance de l’agriculture indienne est tombée bien en dessous du taux attendu de 4% par an, et les importations de nourriture sont en augmentation. Autrefois, la croissance agricole était surtout fondée sur d’énormes investissements dans l’irrigation, notamment au cours des années 1960 et 1970. Mais le niveau des eaux souterraines baisse et le dérèglement climatique se fait sentir dans les énormes bassins fluviaux du Ganges et du Brahmapoutre. Les sols irrigués ont également commencé à se dégrader et l’eau est de plus en plus polluée dans les principaux États agricoles, du fait d’une utilisation excessive de produits agrochimiques.




La question des suicides de paysans en Inde a souvent été l’objet des médias internationaux. Elle illustre la crise chronique de l’agriculture indienne. On estime qu’environ 15 000 paysans se suicident annuellement en Inde parce qu’ils sont dans l’impossibilité de rembourser leurs emprunts.


La crise semble devenir plus aiguë depuis peu, car les cours des produits agricoles sont bas (particulièrement pour les légumineuses, les oléagineux et les céréales, pour lesquels les stocks sont abondants du fait de la très bonne récolte de l’an passé) et les prix des intrants ont augmenté.


Pendant de mois de juin, les paysans de l’État du Maharashtra ont lancé une grève illimitée pour demander une renonciation au remboursement de la dette. Les conséquences de cette grève ont été une forte hausse des prix du lait et des légumes sur les marchés de Mumbai, quelques violences par endroits, ainsi que des barrages routiers et ferroviaires. Les paysans protestent aussi parce que le gouvernement n’a pas tenu sa promesse, faite lors des élections de 2014, de mettre en oeuvre un programme de prix minima agricoles.


Des grèves du même type ont également eu lieu dans d’autres grands États agricoles, avec comme résultat des violences ainsi que la mort par balles de plusieurs producteurs. D’autres revendications ont été ajoutées à celle de la renonciation au remboursement de la dette, telle que la demande d’une pension pour les paysans et les travailleurs agricoles au-delà de l’âge de 60 ans.


En réaction à ces mouvements, plusieurs États ont accepté la renonciation des remboursements, mais le gouvernement central indien a précisé que le coût de cette mesure devrait être supporté par les États et non par le budget central.


Le débat fait rage sur la question de savoir si la renonciation est véritablement une solution durable à la crise. Certains notent que ceux qui bénéficient le plus de la renonciation sont les producteurs les plus riches et non les paysans pauvres et vulnérables et ils craignent que des renonciations régulières puissent mener à l’effondrement du système de crédit, dans la mesure où le non-paiement des échéances pourrait devenir systématique. Beaucoup pensent que c’est la politique agricole indienne dans son ensemble qui devrait être revue afin d’assurer une rémunération correcte aux producteurs.


Comme pour rendre la situation agricole encore pire, le gouvernement indien a décidé récemment d’interdire la vente et l’achat de bovins pour l’abattage. La décision prise par le BJP (Bharatiya Janata Party - Parti du peuple indien), un parti nationaliste hindou au pouvoir depuis 2014, fait suite à une série d’attaques par des milices extrémistes hindoues dirigées vers les marchands de bovin, les travailleurs du cuir et les personnes soupçonnées de consommer de la viande bovine, principalement des Musulmans et des Dalits (Intouchables). Cette nouvelle loi, qui aura probablement un impact sévère sur un secteur économique important, a déclenché des réactions dans divers États, particulièrement en Inde du Sud.



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Pour en savoir davantage :


  1. Hebbar, N., Madhya Pradesh farmers not impressed, to step up stir, The Hindu, 2017 (en anglais)

  2. Gupta, S., Ban on sale of cattle for slaughter: Congress walks tightrope, The Hindu, 2017 (en anglais)

  3. Wadke, R., Maharashtra farmers’ strike sends vegetable, milk prices soaring, The Hindu, 2017 (en anglais)

  4. FAO, Base de données FAOSTAT


Sélection d’articles déjà parus sur lafaimexpliquee.org et liés à ce sujet :


  1. Des chiffres et des faits sur la faim dans le monde 2015

  2. En Inde, un premier «referendum environnemental» sauve les Dongria Kondh, 2014

  3. Bali: premier accord sur l’agriculture depuis la création de l’OMC - l’Inde pourra mettre en oeuvre sa nouvelle loi sur la sécurité alimentaire, 2013

  4. L’Inde approuve ce qui sera le plus grand programme de sécurité alimentaire jamais mis en oeuvre, 2013

  5. L’Inde laboratoire pour les initiatives luttant contre la pauvreté et l’insécurité alimentaire: le cas de SEWA, 2012

 

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Dernière actualisation:    juin 2017