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12 mai 2014



L’Africa Progress Panel propose d’intensifier la mise en oeuvre de recettes éculées pour réduire la faim et la pauvreté en Afrique


Dans son Rapport annuel intitulé «Céréales, Pêche et capitaux - financer les révolution verte et bleue en Afrique», l’Africa Progress Panel (APP) affirme qu’il est temps d’utiliser les énormes ressources naturelles dont dispose l’Afrique pour nourrir sa population et au-delà, et « d’étendre les récents succès économiques du continent vers la grande majorité de ses habitants ».





Pour cela, d’après Kofi Annan, ancien Secrétaire général des Nations unies et président du Panel, «les gouvernements africains doivent à présent développer une infrastructure adaptée et assurer que les systèmes financiers soient accessibles à tous». Avec des emprunts pour acheter des semences améliorées, des engrais et des pesticides, pour payer des primes d’assurances et dans un contexte commercial entièrement libéralisé, les producteurs africains devront être compétitifs sur le marché mondial et produire suffisamment de revenu fiscal pour contribuer au remboursement des investissements massifs dans les infrastructures, pourvu que l’évasion fiscale et la corruption dans le continent soient maitrisées, que les principaux acteurs du commerce international, les compagnies de pêche et celles forestières adoptent des pratiques légitimes et transparentes et que les investissements étrangers soit réglementés au bénéfice de l’Afrique.


Voilà une liste plutôt longue de conditions à réaliser et au sujet desquelles rien n’est dit sur les changements politiques nécessaire pour qu’elles aient quelques chance d’être traduites dans la réalité, bien que le rapport reconnaisse ici ou là que le vrai défi est politique.


Le rapport reconnait que la croissance observée en Afrique au cours de ces dernières années a créé «deux Afriques» qui coexistent aujourd’hui: une Afrique qui se développe vite et où une minorité s’enrichit, et une autre Afrique qui est laissée pour compte à croupir dans la pauvreté et la faim. Voilà un continent où les subventions sur l’énergie qui bénéficient au plus aisés sont plus importantes que celles finançant les programmes de protection sociale pour les plus pauvres. Mais d’après le rapport, la solution à la faim et la pauvreté réside dans la promotion d’une agriculture intensive basée sur une utilisation intensive d’engrais, d’eau et de pesticides qui a pourtant montré ses limites en Asie qui, malgré l’énorme augmentation de la production agricole qu’elle a connu, reste la région au monde où il y a le plus de pauvres et d’affamés et où l’environnement a connu une dégradation irréversible. La solution proposée créera certainement une forte activité pour les entreprises de construction, semencières et de l’agrochimie, mais est-il probable qu’elle bénéficie réellement aux paysans africains pauvres et ne les entrainera-t-elle pas dans une spirale d’endettement qui a fait que tant de paysans indiens se sont suicidés et que d’autres se sont vus poussés à émigrer vers les bidonvilles des métropoles asiatiques?


Quelles sont les cinq recommandations spécifiques du rapport?


  1. Une croissance plus inclusive grâce à une réduction des disparités des niveaux de scolarisation et d’accès aux services ruraux, et  la ré-allocation de 3% du PIB régional que constituent les subventions sur l’énergie vers des programmes de protection sociale

  2. Investir dans une révolution verte en allouant 10% des budgets des États à l’agriculture (l’engagement de Maputo de 2003), promouvoir la substitution des importations en réduisant les tarifs et les barrières non-tarifaires régionales, et améliorer l’infrastructure

  3. Mettre un arrêt au pillage des ressources halieutiques de l’Afrique, stopper la pêche illégale et imposer une pleine transparence sur les contrats commerciaux de pêche et d’exploitation forestière, ces derniers devant être octroyés avec l’approbation des communautés locales

  4. Développer des infrastructures et des services financiers accessibles

  5. Rendre la fiscalité et la finance plus transparentes en rendant publiques les exemptions de taxes avec les noms des principaux bénéficiaires et imposer la transparence aux opérations financières et fiscales des multinationales; réduire le coût des transferts vers l’Afrique des fonds en provenance des émigrés.


Ceux d’entre vous qui consultent régulièrement ce site sauront que nous pouvons être assez d’accord avec les recommandations 1, 3, 4 et 5, mais non avec ce qui est proposée dans la deuxième proposition. Ne répétons pas en Afrique les erreurs qui ont été faites en Asie avec encore moins de chance de réussite. Plutôt, fondons le développement agricole sur des technologies plus accessibles et plus respectueuses de l’environnement pour le développement desquelles la recherche a un rôle essentiel à jouer et laissons là les milliards de dollars, le béton et les compétences acquises par le personnel des multinationales. C’est un modèle radicalement différent, plus horizontal, démocratique et inclusif dont l’Afrique a besoin. Comme l’écrit clairement O. De Schutter dans son rapport terminal, et nous l’avons souvent répété ici, la question principale est politique. Les petits producteurs pauvres doivent s’organiser pour être capables de défendre leurs intérêts et ne pas attendre que l’aide leur parvienne d’un gouvernement ou d’une communauté internationale paternaliste.


Ceci devrait être dit clairement et des actions appropriées entreprises, sinon nous pouvons nous apprêter à constater bientôt un autre échec dans la résolution des questions de la faim et de la pauvreté en Afrique. Il est tout à fait incroyable que le Panel fasse la sourde oreille aux solutions proposées par De Schutter et au récent rapport de l’Agence de Planification et de Coordination du NEPAD intitulé « Les agricultures africaines - Transformations et perspectives ». 


Ce qu’il faut ici ce n’est pas d’appliquer encore une fois les vieilles recettes éculées telles que celles dont AGRA fait la promotion en Afrique et qui ont montré qu’elles créaient davantage d’exclusion, mais d’entreprendre des actions radicalement différentes qui, des expériences l’ont prouvé, peuvent réussir.



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Pour en savoir davantage :


Sur ce site :

  1. L’Afrique s’engage à en finir avec la faim en 2025: la priorité ira-t-elle enfin à l’agriculture familiale durable ? Février 2014

  2. Sept principes pour en finir durablement avec la faim Octobre 2013

        Et tout particulièrement :

        1. Organisation de ceux qui ont faim

        2. Développement de la recherche       


Lire le rapport du Panel (en anglais) : Grain, Fish, Money - Financing Africa’s Green and Blue Revolutions 2014

 

Dernière actualisation:    mai 2014

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