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11 février 2014



L’Afrique s’engage à en finir avec la faim en 2025: la priorité ira-t-elle enfin à l’agriculture familiale durable ?


Les leaders africains réunis lors du XXIIème Sommet de l’Union Africaine à Addis Abeba à la fin du mois de janvier ont adopté une motion visant à en finir avec la faim sur le continent d’ici 2025. Objectif louable, s’il en est, et que tout un chacun ne peut que soutenir très vivement et qui fait que les leaders africains ont confirmé leur engagement pris dans le cadre du Conseil de la FAO en décembre 2012. Mais la déclaration ne précise pas ce que les leaders africains envisagent de faire concrètement pour arriver à réaliser cet objectif ambitieux.





Trois documents peuvent nous donner des indications sur ce que les uns et les autres proposent de faire.


Note conceptuelle sur « 2014, Année de l'agriculture et de la sécurité alimentaire »


Le premier de ces document est la note conceptuelle sur « 2014, Année de l’agriculture et de la sécurité alimentaire » qui vient d’être divulguée lors du Sommet d’Addis Abeba et dont le titre est « Transformer l’agriculture africaine en vue d’une prospérité partagée et un revenu amélioré, en s’appuyant sur les opportunités de croissance inclusive et de développement durable » (“Transforming Africa’s Agriculture for Shared Prosperity and Improved Livelihoods, through Harnessing Opportunities for Inclusive Growth and Sustainable Development’’). Une analyse de cette note et de ses non-dits permet de conclure qu’à la veille du Sommet il n’y avait pas de stratégie claire rencontrant l’unanimité des membres de l’UA pour en finir avec la faim en Afrique. Elle suggère que le choix n’avait été fait entre deux approches:


  1. L’une reposant essentiellement sur la promotion de l’agriculture familiale

  2. L’autre s’appuyant sur les opérateurs privés et cherchant à mobiliser des investissements effectués par des multinationales - sous forme ou non de joint ventures ou de partenariats public-privé -, des banques ou des fonds d’investissement étrangers.


Peut-être que les multiples consultations et échanges d’expérience qui devraient se tenir au cours de 2014 aideront à mieux préciser la stratégie que les gouvernants africains comptent adopter et les mesures qu’ils prendront pour arriver à leurs fins. [lire notre analyse de cette note conceptuelle]


L’Africa Progress Panel


En attendant, alors que la Nouvelle alliance pour la sécurité alimentaire et la nutrition s’active sur le devant de la scène en promettant à l’Afrique des milliards de dollars d’investissement en laissant la part belle aux multinationales et aux investisseurs privés étrangers dans les six pays où elle lance ses activités (Burkina Faso, Côte D’Ivoire, Ethiopie, Ghana, Mozambique et Tanzanie), un deuxième document exprime une position qui tranche sur celle de l’Alliance en indiquant que si les capitaux extérieurs sont indispensables au développement des filières agroalimentaires modernes sur le continent, la priorité doit aller aux paysans africains. C’est celle du Africa Progress Panel, réuni sous la présidence de l’ancien Secrétaire général des Nations Unies Kofi Annan, originaire du Ghana, et qui est également un des inspirateurs de l’Alliance pour la révolution verte en Afrique (AGRA - Growing Africa’s Future). Ce Panel a pour objectif de plaider aux plus hauts niveaux en faveur d’un développement durable et équitable de l’Afrique. Dans le domaine de l’agriculture et de la sécurité alimentaire, le Panel vise à « aider les petits paysans africains à saisir les opportunités et gérer les risques ».


Dans son document datant de Septembre 2012 intitulé « L’Afrique a besoin d’une révolution verte », le Panel détaille un peu plus ce qu’il propose en annonçant d’entrée ce qui lui parait le plus crucial: « augmenter la productivité du petit paysan africain ». Il souligne l’opportunité que constituent pour l’Afrique et les africains les tensions qui existent sur les marchés alimentaires mondiaux tout en reconnaissant les risques qu’elles font peser sur les ressources naturelles du continent, et en soutenant que l’Afrique sera l’une des régions du monde qui souffrira le plus des conséquences du changement climatique. Selon le Panel, les obstacles à l’augmentation de la productivité des petits paysans africains sont principalement: la faiblesse du développement de l’irrigation (notamment si on la compare à  l’Asie) et le manque de semences améliorées, de nouvelles technologies, d’engrais et de pesticides. Il regrette également l’abandon dans lequel les gouvernements ont laissé les petites exploitations et la priorité qu’ils ont donné au développement de grandes exploitations peu susceptibles de créer de l’emploi et réduire la pauvreté.


Pour aider les petits paysans à s’adapter au changement climatique, le Panel suggère des actions telles que le développement de la petite irrigation, la construction de terrasses et de routes rurales, et la recherche. Il insiste également sur la nécessité de la mise en place de programmes sociaux augmentant la résilience des populations rurales en cas de choc. Il dénonce enfin l’accaparement des terres contre lequel il faut protéger les communautés rurales. En 2014, le Panel compte trouver des solutions pour injecter des capitaux dans l’agriculture africaine et faire que les communautés rurales puissent y avoir accès et les protéger face au développement des grandes entreprises agro-industrielles. [lire]


Bref, ce deuxième document présente le point de vue de ceux qui veulent intégrer les centaines de millions de petits producteurs africains dans le système agroalimentaire mondial en les transformant en consommateurs d’engrais, de pesticides, de semences améliorées et d’équipements de petite irrigation, et en producteurs d’intrants pour les industries de transformation. Il s’agit donc bien de transférer la révolution verte en Afrique (chose que beaucoup ont essayé de faire au cours de 30 dernières années avec peu de succès) et de mieux intégrer les paysans africains dans le système alimentaire mondial en en faisant des clients et pourvoyeurs de matières premières pour les grandes entreprises du secteur agroalimentaire. Rien de très nouveau donc, si ce n’est cependant une opposition claire à l’accaparement des terres.


L’Agence de Planification et de Coordination du NEPAD et la Commission de l’Union Africaine


En ce début d’année 2014, l’Agence de Planification et de Coordination du NEPAD et la Commission de l’Union Africaine ont publié, sous la direction d’Ibrahim Assane Mayaki, un troisième document intitulé « Les agricultures africaines - Transformations et perspectives » qui propose un troisième point de vue. Partant du constat que les ressources naturelles du continent devraient « lui permettre non seulement de se nourrir, d’éliminer la faim et l’insécurité alimentaire mais aussi de devenir un acteur majeur des marchés internationaux » le rapport souligne les efforts faits depuis 2003 pour mobiliser les énergies en vue de développer l’agriculture africaine au travers du Programme Détaillé de Développement de l’Agriculture Africaine (PDDAA) dont la stratégie repose sur « l’augmentation des investissements agricoles, le développement de l’entreprenariat et des investissements dans les filières agro-alimentaires, l’amélioration des marchés agricoles nationaux et régionaux, la promotion collective de la sécurité alimentaire et les progrès dans la gestion durable des ressources naturelles. »


Résolument positif, le rapport souligne la forte croissance qu’a connu la production agricole africaine au cours des trente dernières années, malgré l’abandon dans lequel elle a été laissée par les Etats et les donateurs. Pour les auteurs du rapport, il s’agira à l’avenir avant tout d’offrir aux producteurs un environnement sécurisé qui leur facilite l’adoption de paquets technologiques plus productifs. Cet environnement se caractérise par « par un accès plus sécurisé au foncier, des prix plus stables et prévisibles, des assurances et des filets de sécurité pour les producteurs », notamment pour les plus petits d’entre eux. Reconnaissant que le développement agricole est une condition nécessaire mais non suffisante pour réduire l’insécurité alimentaire, le rapport admet que « l’agriculture industrielle, outre les questions qu’elle soulève en termes d’efficacité dans l’utilisation des ressources, crée clairement moins d’emplois que l’agriculture familiale moderne », tout en estimant qu’en Afrique, les deux modèles sont appelés à coexister. Il prend ainsi, lui aussi, clairement position contre les acquisitions de terre à grande échelle en vue de créer des plantations industrielles, mais voit l’intérêt de l’investissement étranger dans les filières agroalimentaire. Mais là où ce rapport se différencie le plus des autres c’est quand il opère une inflexion notable dans le domaine technologique en se proposant de favoriser « l’utilisation contrôlée des intrants et des techniques agro-environnementales pour gérer la fertilité des sols » et de « promouvoir la préférence systématique pour des systèmes agricoles durables du point de vue socio-économique (utilisation de la main d’œuvre) comme environnemental (usage limité d’intrants d’origine fossile, promotion de l’agro-écologie et de l’agroforesterie). »


On voit ici apparaitre deux idées qui font l’originalité de ce document: il s’agit de (i) limiter les investissement étrangers essentiellement en aval de l’agriculture, dans les filières et la transformation, et (ii) d’opter pour des paquets technologiques productifs moins consommateurs d’intrants fabriqués à base d’énergie fossile (engrais, pesticides). On ne peut que se féliciter de cette orientation qui est nettement plus favorable aux paysans africains en les protégeant mieux face à la convoitise des investisseurs - qu’ils soient étrangers ou nationaux - et en leur proposant des solutions techniques plus adaptées aux ressources dont ils disposent (du travail et non de l’argent pour acheter des intrants).


Le rapport poursuit en affirmant que le lien entre la production et la consommation devra s’effectuer par des « filières efficientes et plus équitables en encourageant des approches interprofessionnelles » produisant une diversité de « produits transformés de haute qualité en offrant des produits plus standardisés en termes de goût, de conservation et de plus en plus conformes aux normes sanitaires et environnementales. » Les producteurs devront «s’organiser [...] pour défendre leurs intérêts collectifs dans la concurrence avec d’autres opérateurs. » Pour que l’agriculture puisse se développer, il lui faudra bénéficier au moins un temps, d’une certaine protection en s’assurant que « l’intégration aux marchés mondiaux se fera de façon progressive en vertu d’une stratégie d’industrie naissante ».


Pour « transformer la stratégie de sécurité alimentaire de l’Afrique pour en faire une stratégie de souveraineté alimentaire et de préférence régionale... [il faudra] davantage de souplesse dans la politique tarifaire régionale, des efforts concentrés sur la recherche sur les produits locaux, des règlementations sur l’utilisation et la protection des ressources génétiques »


Une rapide comparaison des propositions de ce troisième document avec les sept principes pour en finir avec la faim proposés sur lafaimexpliquee.org, montre de bonnes convergences, notamment sur les principes suivants:


  1. Premier principe: Organisation des producteurs

  2. Deuxième principe: Protection sociale

  3. Quatrième principe: Paquets technologiques accessibles et durables

  4. Cinquième principe: Protection de l’agriculture

  5. Sixième principe: Reconnaissance et respect des droits

Il reste à présent à l’agence du NEPAD et à l’UA à mettre en oeuvre ce que ce document propose. C’est là un défi majeur qui demandera  de mobiliser bien des énergies et surmonter de nombreux obstacles: la teneur du récent accord entre la CEDEAO et l’Union Européenne qui met à mal le cinquième principe est une illustration de ces difficultés.


Mais le développement durable de l’agriculture africaine et l’élimination de la faim sont à ce prix.

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Pour plus de détails:



  1. -Agence de Planification et de Coordination du NEPAD et Commission de l’Union Africaine, Les agricultures africaines - Transformations et perspectives, 2014

  2. -Union Africaine, Transforming Africa’s Agriculture for Shared Prosperity and Improved Livelihoods, through Harnessing Opportunities for Inclusive Growth and Sustainable Development, note conceptuelle pour l’Année de l'agriculture et de la sécurité alimentaire, 2014

  3. -Africa Progress Panel, L’Afrique a besoin d’une révolution verte, 2012

- M. Benoit-Cattin et N. Bricas, L’Afrique : quelles stratégies de sécurité alimentaire ? Enjeux et prospective, Cahiers Demeter, 2012


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N’oubliez pas de signer la pétition: La faim, crime contre l’humanité

 

Dernière actualisation:    février 2014

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