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Année de l’agriculture familiale


Réflexions personnelles

sur

la mobilisation des services des écosystèmes

et l’investissement sous forme de travail

 



    Alors qu’il y a quelques jours je retournais mes tas de compost pour accélérer le processus de dégradation et disposer de beaucoup d’engrais organique pour la plantation des légumes de printemps, je fus frappé de ce que nous risquions souvent de créer la confusion en utilisant les mots compliquées qui servent aux scientifiques et aux économistes pour décrire ce que font les petits paysans quotidiennement et, disons, naturellement.

    Ainsi, si mon épouse allait me demander ce que j’avais fait tout le matin, j’aurais pu en toute sincérité lui dire que je «m’étais occupé de mobiliser les services de l’écosystème et que je faisais un investissement sous forme de travail», et elle aurait probablement pensé que j’étais devenu un peu plus fou que ce que je suis déjà. Cependant, ce sont bien le type de termes que les universitaires aiment à utiliser pour décrire les actions faites utilement par des centaines de millions de paysans pour produire la plus grande partie de la nourriture consommée aujourd’hui par les 7 milliards de personnes qui peuplent le monde.

    Retourner périodiquement le compost accélère la décomposition du matériel végétal fibreux en laissant pénétrer davantage d’air dans le tas et en mélangeant bien les poches humides et celles sèches qui tendent à se développer si on ne le retourne pas. Bien sûr, on ne peut voir les bactéries qui sont de si importants agents du processus de décomposition, mais on peut observer facilement un intense fourmillement autour des formes de vie plus grandes qui cherchent de nouvelles niches dans le tas retourné - cloportes, vers, coléoptères et leurs grandes larves blanches et, en hiver, quelques souris sorties brusquement de leur hibernation. En travaillant ensemble pour s’alimenter et se multiplier, cette congrégation de formes extrêmement diverses de vie transforme un tas de mauvaises herbes, d’herbes séchées, de déchets ménagers (tels que les pelures de fruits ou les feuilles externes de légumes) et de cendre de feu de bois en un produit de qualité. Par leurs processus de digestion et la chaleur que leur activité génère, ils créent un matériau sec, brun, friable et riche en nutriments que je peux utiliser comme mulch pour alimenter les cultures de la saison suivante. Voilà ce que l’on entend quand on parle de la « mobilisation des services des écosystèmes».

    Si vous ne disposez pas de beaucoup d’argent, faire du compost a le grand avantage de ne pas couter un centime (un penny si vous êtes anglais ou un cent si vous êtes américain). Cela me prend cependant pas mal de mon temps et de mon énergie pour assembler les matériaux, de faire des tas et de les retourner plusieurs fois - bien que cela deviennent de moins en moins fatiguant à mesure que le matériau devient plus friable. Et c’est là ce que les experts appellent un «investissement sous forme de travail », puisque je convertis mon travail physique en un actif productif.

    Si je considère les 30 à 40 dernières années, je pense que le plus grand actif que nous avons créé en investissant notre travail a été de construire des terrasses sur les terrains pierreux et en pente qui se trouvent près de notre maison. Nous - moi, mon épouse et nos deux jeunes enfants (qui à l’heure actuelle seraient considérés comme des enfants au travail) - avons utilisé des pics, des pieds-de-biche et des bêches pour créer quatre grandes marches aplanies, étagées tout au long de la pente. Alors que nous creusions, nous extrayions les pierres de la terre pour les utiliser pour construire de solides murs afin de retenir sur toute la largeur de chacune des  terrasses un mètre de haut de terre qui pourrait absorber, retenir et retistuer progressivement l’eau de pluie à nos cultures. C’était là un travail pénible, mais il transformait une terre inutilisable en une zone hautement productive à partir de laquelle - avec l’aide de compost - nous avons satisfait au cours des ans la plus grande partie de nos besoins en légumes frais. Tout comme les paysans du Pérou, du Yémen, du Népal ou des Philippines l’ont appris il y a des centaines d’années, les pierres, au lieu d’être un obstacle à la culture, peuvent jouer un rôle fondamental dans la prévention de l’érosion.



    La question qui tout naturellement se pose est de savoir comment on peut améliorer les performances de tels systèmes qui sont typiquement utilisés par des petits producteurs agricoles. Aussi longtemps qu’il y a suffisamment de terre, le besoin le plus essentiel est d’assurer que la famille a des droits fonciers sûrs et que sa capacité de travail n’est pas limitée par une mauvaise nutrition, tout particulièrement pendant les saisons où la demande en travail est la plus importante.

    Les meilleures stratégies pour assurer une grande part d’autosuffisance varieront selon l’endroit, mais elles reposent souvent sur des systèmes agraires qui sont fortement diversifiés. La diversification aide à assurer une alimentation bien équilibrée, répartir le risque, niveler la demande en travail et limiter le gaspillage, par exemple en alimentant le petit bétail avec des résidus des cultures. Dans beaucoup de cas, assurer un approvisionnement stable en nourriture demande la conservation et le stockage des produits des cultures afin qu’ils puissent être transférés des saisons d’abondance vers celles de disette.

Mais nous avons aussi appris de notre propre expérience l’importance énorme de l’amélioration de l’efficacité de l’utilisation du temps et de l’énergie pour pouvoir augmenter le rendement de l’investissement en travail.

Chaque année, nous cultivons une parcelle de pois chiches et les séchons au moment de la récole pour les utiliser en hiver quand il y a moins de nourriture fraiche. Pendant des années, nous avons séparé les pois des cosses à la main. Mais c’est là un processus tellement lent que notre frustration nous a amené, il y a deux mois, à expérimenter quelques alternatives. Nous nous sommes rendus compte que de mettre quelques kilogrammes de pois chiches en gousses dans des sacs et de les frapper fortement contre une pierre pendant quelques minutes, permettait de séparer les pois des cosses.  Afin d’exploiter au mieux les services de l’écosystème, nous avons placé le mélange obtenu sur un grand tamis un jour de grand vent et avons pu constater que, en donnant un peu de mouvement à l’ensemble, les cosses étaient emportées par le vent et laissaient derrière elles un grand tas de pois propre en un dixième du temps requis pour effectuer le décorticage manuel.  Ce n’était pas là une technologie avancée, mais cela libérait du temps pour d’autres activités.

Si vous avez déjà planté des pommes de terre, vous saurez c’est un très dur labeur si l’on utilise la technologie conventionnelle européenne. Vous creusez une tranchée profonde, placez les semences de pommes de terre de façon espacée dans le creux de la tranchée, puis vous comblez l’excavation et élevez une butte de terre.  Au moment de la récolte, vous creusez à nouveau un sillon et bougez ainsi une montagne de terre. Le tout ne vaut guère l’effort énorme qui est fourni. Par conséquent, au lieu d’abandonner la culture de pomme de terre selon une technique qui utilise peut-être plus de calories qu’elle n’en produit, nous nous avons utilisé pendant des années des méthodes développées par les Coréens du Nord. Pendant l’hiver, nous avons installé une couche de mulch composé de mauvaises herbes et de résidus de culture sur la zone où seront plantées les pommes de terre. Cela ammollit, protège et nourrit le sol sous-jacent. Nous arrachons quelques mauvaises herbes isolées qui ont pris racine, les entassons sur le mulch, puis plantons les semences de pommes de terre en les posant derrière un coup de bêche, et les enfonçons à travers le mulch, sans retourner la terre pour le moins du monde. Quand nous les récoltons, en creusant très peu, les rendements sont aussi bons que ceux obtenus avec le système conventionnel, mais l’énergie humaine requise est au moins moitié moindre - ou, vu d’un autre point de vue, la productivité du travail est doublée!

Si vous doutez encore de ce que veut dire la mobilisation de l’écosystème pour la production alimentaire, veuillez en apprendre davantage sur les abeilles. La façon la plus évidente - et merveilleuse - de laquelle nous « mobilisons les écosystèmes » est de nous occuper des abeilles. En retour de l’habitat que nous leur donnons et de l’occasionnelle protection contre la maladie, elle travaillent pour nous sans arrêt, produisant du miel et pollinisant nos fruits, ce qui constitue une extraordinaire coopération entre les humains et les insectes.

Il y a deux semaines, les Nations Unies ont lancé l’Année internationale de l’agriculture familiale. Espérons que d’ici la fin de l’année, un nombre bien plus grand de personnes partout dans le monde sera amené à apprécier le rôle fondamental que les exploitations familiales jouent dans la production durable de notre alimentation. Espérons qu’elles apprendront la valeur de respecter plutôt que de défier les forces de la nature - de chercher à les stimuler plutôt que de les contrôler voire de les détruire par l’utilisation de systèmes agraires qui accélèrent la dégradation des sols, polluent l’eau et réduisent la diversité des espèces animales et végétales desquelles notre vie dépend.

Espérons aussi que les gens condamneront activement l’ignorance de ceux qui dépeignent les petits paysans comme primitifs, inefficaces, non-scientifiques et incapables de nourrir la future population mondiale.




    Andrew MacMillan*

    (décembre 2013)






  1. *Andrew MacMillan est économiste agricole spécialisé en agriculture tropicale, ancien Directeur de la Division des opérations de la FAO. Il a été récemment le co-auteur d’un livre intitulé «How to End Hunger in Times of Crises – Let’s Start Now», publié chez Fastprint Publishing.

 

Dernière actualisation: décembre 2013

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