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Les accords de libre-échange font la promotion des intérêts des grandes entreprises*


par Jomo Kwame Sundaram** et Anis Chowdhury***



Les prétendus accords de libre-échange (ALE) sont en général supposés promouvoir la libéralisation des échanges, mais en fait, ils contribuent davantage à renforcer le pouvoir des entreprises transnationales les plus influentes des partenaires dominants. Alors que les ALE réduisent typiquement les barrières aux échanges internationaux de biens et services, certaines de leurs clauses renforcent les monopoles privés et le pouvoir des grandes entreprises.





Il n’est donc pas surprenant que les processus aboutissant à des ALE sont de plus en plus vus comme étant entachés de corruption. Ils sont typiquement opaques, particulièrement du point de vue des intérêts des producteurs et des consommateurs concernés. Leurs résultats éventuels sont souvent mal compris par le public et souvent mal interprétés par ceux qui se prétendent des experts.


Par exemple, beaucoup d’économistes du Peterson Institute of International Economics et de la Banque Mondiale continuent de revendiquer des gains en termes de croissance dus à la libéralisation du commerce dans le cadre de l'Accord de partenariat trans-pacifique qui ont pourtant été réfutés par des économistes du Département de l’Agriculture et de la Commission du commerce international des États-Unis.


Et alors que beaucoup de membres de l’élite transnationale qui en bénéficie restent favorables à davantage d’ALE en tant que moyens d’étendre et d’accroître leur pouvoir et leurs intérêts, la confiance et l’espoir du public ont reculé dans la mesure où la population est devenue plus consciente de certaines de leurs clauses les plus lourdes et de leurs conséquences probables.


Ainsi, la population vote contre les politiciens qui sont tenus pour responsables de soutenir les ALE, quelles que soient leurs affiliations partisanes. Le Brexit et l’élection de Mr. Trump sont des exemples de ces tendances mondiales.


Les ALE contribuent-elles à un commerce plus libre ?


Même si les ALE pouvaient augmenter le commerce et les échanges commerciaux, cela vaut-il l’effort consenti si l’on prend en compte la croissance et les gains insignifiants qu’ils occasionnent ? On peut sérieusement douter que certaines des dispositions des ALE - par exemple celles renforçant les droits de propriété intellectuelle ou les mécanismes de règlement des différends entre investisseurs et États qui ne relèvent pas des institutions judiciaires nationales - renforcent le commerce international, la croissance économique ou l’intérêt public.


Plus de commerce et une plus grande libéralisation des échanges pourraient éventuellement contribuer à l’amélioration du bien-être de tous, à une croissance accélérée et à une transformation structurelle dans les pays en développement. Mais de tels résultats n’en découlent pas automatiquement et nécessitent pour se réaliser des politiques, institutions et réformes complémentaires.


En outre, une libéralisation du commerce international qui repose sur des hypothèses fausses a également miné les capacités et aptitudes de production et exportation sans en créer de nouvelles pour les remplacer, causant ainsi une régression plutôt qu’assurant une progression. De tels effets n’ont pas seulement fait reculer le développement économique mais aussi, souvent, la sécurité alimentaire, particulièrement en Afrique subsaharienne.


Un commerce plus libre et plus équitable sans les ALE


Un nombre de plus en plus important de personnes se rend compte à présent qu’une progression du commerce compatible avec les aspirations de bien-être et de développement peut être réalisée sans ALE, par exemple grâce à des mesures unilatérales. C’était évident au moment de l’abandon de l’embargo des États-Unis sur Cuba, et cela se produira si les relations commerciales entre les États-Unis et l’Iran s’améliorent. De même, le commerce États-Unis - Vietnam devrait augmenter rapidement en l’absence de législation américaine discriminatoire et coûteuse imposée pendant des décennies depuis la fin de la guerre en 1975.


Lors de la récente campagne pour les élections présidentielles américaines, les deux candidats ont attribué le déficit commercial avec la Chine à la prétendue manipulation du taux de change effectuée par celle-ci. Alors que beaucoup de pays en développement, particulièrement en Asie orientale, gèrent leurs monnaies pour différentes raisons, le consensus récent du marché est que le renminbi a été aligné raisonnablement depuis quelque temps, alors que les monnaies d’autres pays, notamment celles des alliés des États-Unis dans la région, sont sous-évaluées de façon plus significative. Les négociateurs commerciaux américains se sont longtemps plaints qu’ils n’arrivent pas à obtenir l’intégration de règles obligatoires relatives aux monnaies dans les ALE, alors qu’elles sont si susceptibles d’abus.


Plus fondamentalement, une telle solution ne s’attaque pas aux problèmes fondamentaux du système monétaire international qui confère un « privilège exorbitant » aux États-Unis.  Avec des comptes de capitaux fortement libéralisés au cours des dernières décennies, beaucoup « d’économies de marché émergentes » ont connu de grands et soudains reflux de capitaux. Ainsi, elles ont dû avoir recours à la coûteuse et récessive pratique dite de « l’auto-assurance » en accumulant d’énormes réserves de devises pour faire face à d’éventuels besoins.


Ceci a présenté des coûts d’opportunité substantiels pour les économies émergentes dans la mesure où ces réserves auraient pu être utilisées de façon plus productive, au lieu de les garder sous forme de bons du Trésor américain qui rapportent peu. En plus de transférer des gains de seigneuriage (en faveur du gouvernement émetteur de la monnaie du fait de la différence entre la valeur nominale de la monnaie et ses coûts de production)  aux États-Unis, les pays émergents aident, en fait, à financer les dépenses et les déficits américains.


Le multilatéralisme reste encore la meilleure option


Si le président élu Trump reste fidèle à sa rhétorique de campagne, tous les accords commerciaux plurilatéraux et multilatéraux seront touchés. Mais son alternative « Mettre l’Amérique d’abord » de négociation des accords bilatéraux favorables aux États-Unis est également extrêmement problématique du fait de la demande énorme qu’elle placera sur les États-Unis et ses partenaires de négociation, surtout dans le cas des pays les plus petits et ceux en développement qui disposent de capacités de négociation modestes.


Et alors que les principales préoccupations de Trump ont été le commerce des biens et les emplois américains, il n’y a eu aucune indication pour l’instant qu’il ne continuera pas à faire la promotion des intérêts des grandes entreprises américaines d’une façon plus générale, par exemple sur la propriété intellectuelle, les droits de l’investisseur, la libéralisation financière et le règlement des différends, dans le cadre de négociations commerciales globales. Ces préoccupations ont été renforcées par le choix des personnes récemment nommées dans des postes commerciaux de responsabilité dans la nouvelle administration.


Les facteurs déterminant les flux et les structures des flux commerciaux sont nombreux et divers et comprennent notamment les revenus (ou le pouvoir d’achat), les taux de croissance, les barrières non tarifaires, les taux de change ainsi que les règles d’importation et d’exportation. L’Organisation mondiale du commerce (OMC) et d’autres institutions internationales en place peuvent contribuer grandement à la facilitation d’un commerce plus important dans l’intérêt de tous, si on leur donne une chance de succès.


Ce qui est inquiétant, c’est qu’il n’y a eu aucune indication pour l’instant que la prochaine administration américaine ne minera pas les négociations multilatérales qui se déroulent sous les auspices de l’OMC. Malheureusement, les négociations en cours dans le cadre du Cycle de Doha ont été empêchées par de puissants intérêts privés et par des gouvernements. La conclusion d’un accord commercial véritablement progressif serait non seulement favorable aux aspirations de développement et à l’avancement des intérêts nationaux, publics, des consommateurs et des producteurs, mais elle aiderait aussi à assurer une reprise économique mondiale plus équilibrée et plus robuste.



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Publié initialement sur Interpress Service, le 12 janvier 2017, sous le titre « Free Trade Agreements Promote Corporate Interests » http://www.ipsnews.net/2017/01/free-trade-agreements-promote-corporate-interests/


**  Jomo Kwame Sundaram, ancien professeur d’économie, a été Assistant Secrétaire Général des Nations Unies pour le développement économique, Assistant Directeur Général de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et a reçu le Prix Wassily Leontief pour avoir fait avancer les frontières de la pensée économique en 2007.


*** Anis Chowdhury, ancien professeur d’économie à l’Université de Western Sydney, a occupé des postes de responsabilité aux Nations Unies entre 2008 et 2015 à New York et à Bangkok.

 

Dernière actualisation: janvier 2017

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