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Le système alimentaire qu’il nous faut


Au cours de ces dernières années, bien des efforts ont été faits pour projeter la future demande alimentaire mondiale (par la FAO, Foresight, IFPRI, Agrimonde, etc.). Un des points communs entre ces diverses études est leur tendance à chercher dans la boule de cristal des experts quelle sera la quantité et le type de nourriture que la population mondiale voudra et pourra acheter sur le marché, plutôt que ce que seront ses besoins. Les premières estimations de la FAO prétendaient que, alors que la population passerait d’environ 7 milliards à un peu plus de 9 milliards de personnes (soit un accroissement d’à peu près 30%), la demande alimentaire augmenterait de 70%, et qu’il y aurait encore environ 300 millions de personnes vivant dans la faim chronique! Dans une publication plus récente, la projection révisée de la FAO envisageait une hausse de 60% de la demande alimentaire d’ici 2050.

Ces projections reposent sur l’hypothèse que, quand le revenu augmente, surtout dans les pays en développement, la population suivrait une transition nutritionnelle qui imiterait le modèle de consommation - et de gaspillage - alimentaire des consommateurs riches, en particulier ceux vivant dans les «pays du Nord». Les projections confirment que si l’on compte seulement sur la croissance économique et le marché, ceux qui ne pourraient pas se permettre de faire la transition nutritionnelle resteraient affamés.

Il n’y a, bien entendu, rien d’inévitable dans ces projections. Pour moi, elles nous disent qu’il est maintenant grand temps de commencer à agir pour que les résultats de 2050 soient très différents et bien meilleurs. L’idée que les personnes vivant dans les pays industrialisés continueraient à surconsommer et gaspiller la nourriture comme nous le faisons à présent et que tout un chacun dans le monde, une fois capable de se le permettre, adopterait le même type de pratique, est épouvantable si l’on considère les implications que cela aurait sur la santé, l’environnement et le changement climatique. Que des centaines de millions de personnes soient encore condamnées à vivre dans une faim constante, alors que tous les autres humains auraient accès à plus de nourriture que ce dont ils ont besoin pour vivre une vie saine, n’est rien moins qu’une abomination.

Je pense que nous devrions aspirer à une situation en 2050 - et idéalement bien avant cette date - où tout un chacun sur terre mangera sainement et atteindra un niveau nutritionnel pleinement adéquat, équilibré et non excessif. Si nous arrivons à ce résultat, non seulement tout le monde sera mieux nourri et en meilleure santé qu’à présent, mais nous aurons aussi réduit la pression potentielle exercée sur les ressources naturelles de la planète, ralenti le processus de changement climatique, et, je l’espère, amélioré le bien-être des personnes qui produisent, distribuent, transforment et vendent notre alimentation (car la durabilité doit être considérée du point de vue social et environnemental). Je prétends aussi que la réalisation de cette aspiration sera bonne pour l’économie globale et contribuera également à rendre le monde plus pacifique.

Je ne connais pas grand chose sur la façon de faire des projections, mais je pense que si nous pouvons réduire substantiellement les pertes alimentaires, le gaspillage et la surconsommation, surtout de viande, ainsi que la production de biocarburants fabriqués à partir de nourriture qui est implicite dans la plupart des projections actuelles, il devrait être possible de diminuer la nourriture supplémentaire requise en 2050 à environ 50% de la production actuelle, voire moins encore. Un ralentissement de la croissance démographique serait utile, mais la plus grande partie de l’augmentation attendue de la population en 2050 résulte d’un allongement de l’espérance de vie. Globalement, cependant, il devrait être possible que tout le monde mange bien même avec une croissance de la production alimentaire inférieure dans les années à venir à ce qui est envisagé par la plupart des spécialistes de la prospective, ce qui devrait faciliter d’autant la transition nécessaire vers des technologies de production alimentaire plus durables. 

Les différentes institutions en charge de la sécurité alimentaire globale devraient concentrer leur attention sur ce qui doit être fait maintenant pour arriver à un résultat futur meilleur, notamment matière d’ajustement des politiques. Si l’on considère les politiques alimentaires actuelles, il y a clairement des opportunités d’amélioration. Les énormes programmes de subventions agricoles mis en oeuvre par certains pays industrialisés, par exemple, rendent l’alimentation bon marché pour les consommateurs ayant des revenus élevés ou moyens, ce qui encourage la surconsommation et le gaspillage, mais contribue également à pousser vers le bas les prix de la nourriture produite par les paysans, surtout dans les pays en développement, qui ne bénéficient pas de subventions comparables, ce qui réduit les incitations qui leur sont faites d’augmenter leur production. 

D’un point de vue moral, la plus grande priorité doit être donnée à l’élimination aussi rapide que possible de la faim et des autres formes débilitantes de malnutrition. L’opinion assez largement partagée qui consiste à penser que cela demandera une augmentation énorme de la production alimentaire est totalement infondée, comme j’ai pu le constater à ma grande surprise quand j’ai calculé la nourriture requise pour amener un milliard de personnes affamées juste au-delà du seuil de sous-alimentation. Avec un déficit moyen de 250 à 300 kcal par jour et par personne sous-alimentée, soit l’équivalent d’environ 70 grammes de blé ou de riz, le besoin annuel serait d’à peu près 30 millions de tonnes, soit moins de 2% de la production mondiale de céréales! Même si l’on doublait ou triplait cette quantité pour que les personnes affamées mangent encore mieux, la quantité requise est petite comparée à la production mondiale de nourriture. Tant que les pays n’auront pas pris les mesures requises pour gérer leur économie de façon plus équitable, les principaux outils pour réduire la faim devront être des programmes nationaux de protection sociale. Ces programmes devront faire en sorte que les familles les plus pauvres puissent acheter (ou produire) la nourriture qu’il leur faut, en leur distribuant régulièrement des coupons alimentaires jusqu’à ce qu’ils soient en mesure de s’en sortir par leurs propres forces grâce à un meilleur régime alimentaire.

Le deuxième groupe d’activités porte sur la diminution du gaspillage et de la surconsommation alimentaire, tout particulièrement par la facilitation de la «transition nutritionnelle» vers un régime alimentaire sain. Cette transformation ne peut pas être laissée au gré des seules forces du marché. Elle demandera des actions d’éducation nutritionnelle et de changement de comportement alimentaire, des restrictions sur la publicité et de nouveaux codes de comportement pour ceux qui s’occupent de la commercialisation de la nourriture, ainsi qu’une taxation sur les aliments «malsains» et ayant une forte empreinte écologique.

Le troisième domaine d’attention doit être d’assurer aux personnes travaillant dans la chaine alimentaire, surtout aux petits producteurs agricoles, qu’elles pourront vivre correctement en s’occupant de la production et de la manutention de la nourriture. Dans ce cas, il s’agit de faire en telle sorte que les consommateurs payent un prix équitable pour la nourriture qui permette aux paysans et autres ruraux d’avoir un revenu correct sans avoir à émigrer de chez eux pour chercher ailleurs de meilleures conditions de vie. Les prix à la consommation, en partie du fait de taxes qui leur seraient imposées, devraient aussi intégrer les coûts relatifs à la dégradation de l’environnement résultant de la production de la nourriture et de son transport jusqu’à la table des consommateurs, y compris les indispensables investissements dans les services et infrastructures rurales ainsi que la recherche publique complémentaire dont l’objectif est de développer des systèmes alimentaires véritablement durables.

Bien sûr, au fur et à mesure que les prix augmentent, le budget de protection sociale et le nombre de bénéficiaires des programmes ne manquera pas d’augmenter. Mais ce seront là des dépenses bien moindres que si l’on gardait un système dans lequel la consommation et le gaspillage alimentaire, par les pauvres et les riches, sont subventionnés et qui encourage un comportement absurde.

Ce que je suggère, fondamentalement, est que nous ne pouvons pas nous permettre de laisser le système alimentaire à lui-même. Nous devons nous pencher sur les politiques de prix, de subvention et de taxation de la nourriture et faire en sorte qu’elles envoient les bons signaux aux consommateurs et aux producteurs. Ceci faisant, il sera vital de protéger de mieux en mieux la consommation alimentaire des familles les plus pauvres afin de leur permettre d’échapper à la faim.



Andrew MacMillan*

(Novembre 2013)



* Andrew MacMillan est économiste agricole spécialisé en agriculture tropicale, ancien Directeur de la Division des opérations de la FAO. Il a été récemment le co-auteur d’un livre intitulé «How to End Hunger in Times of Crises – Let’s Start Now», publié chez Fastprint Publishing.


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Références:

FAO, World Agriculture Towards 2030/2050, 2006 and 2012

INRA & CIRAD, Agrimonde. Scénarios et défis pour nourrir le monde en 2050, Montpellier 2009

UK Government Office for Science (Foresight), The Future for Food and Farming: Challenges and Choices for Global Sustainability, London  2010

Dernière actualisation: novembre 2013

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