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L’élimination durable de la faim : l’option territoriale


Vito Cistulli*




Le concept de « sécurité alimentaire » est multidimensionnel (disponibilité, accès, qualité, stabilité) et toutes ses dimensions ont une forte dimension spatiale. Cependant, l’accent n’est en général porté que sur les seules dimensions individuelle et nationale, et trop souvent sur la seule disponibilité.


La dimension spatiale, dimension oubliée de la sécurité alimentaire





Or, si on observe une réduction moyenne de l’insécurité alimentaire et de la faim ainsi qu’une assez forte croissance économique dans les pays en développement, on observe également une disparité croissante de situations entre les territoires ! Ainsi par exemple, l’insécurité alimentaire au Ghana n’affecte que de 5% de la population mais dans certaines provinces, elle dépasse 25%. La réalité c’est que la concentration géographique de l’insécurité alimentaire est toujours plus forte et que les moyennes nationales ne permettent pas de rendre compte de l’ampleur et de la profondeur des problèmes. On note aussi que la part relative d’insécurité alimentaire en Afrique sub-saharienne par rapport au reste du monde s’accroît et que le secteur informel n’y a pas diminué, ce qui indique des risques graves pour l’emploi dans le futur.


Face à ce constat partagé, la FAO**, l’OCDE***et l’UNCDF**** considèrent qu’il est important de réduire les disparités spatiales, et donc de poser certaines questions : l’approche territoriale est-elle une option valable pour apporter des solutions inclusives et durables au problème de l’insécurité alimentaire ? Les pays sont-ils prêts au changement de paradigme qu’elle suppose (voir tableau ci-dessous) et quelles sont implications politiques et institutionnelles qui en découlent ?


Paradigme dominant et paradigme territorial : une comparaison




Notre avis est que l’approche territoriale n’a pas vocation à remplacer ce qui se fait aujourd’hui mais à venir en complément. Elle suppose cependant des changements de fond assez importants.


Le nouveau paradigme suppose notamment de passer d’une approche prescriptive à une gouvernance multi-niveaux, multi-acteurs et multi-sectorielle. Il invite aussi à prendre bien plus en considération les dimensions environnementale, sociale et culturelle du développement.


Il ne s’agit pas seulement de décentraliser ou déconcentrer davantage mais bien de réussir à impliquer tous les acteurs et notamment toutes les petites et moyennes exploitations agricoles, lesquelles doivent être considérées comme les principaux investisseurs. D’ailleurs, une des raisons de l’accaparement foncier, qui, rappelons-le, est en Afrique le fait à 30% de citadins africains et donc pas seulement de grands groupes étrangers, est bien ce défaut d’investissements. Les petits exploitants doivent donc être considérés comme une cible essentielle.


Réussir ce développement inclusif et territorialisé nécessite par conséquent de rétablir le rôle des gouvernements. On a en effet besoin de gouvernements crédibles et capables d’établir un « environnement porteur » pour promouvoir des dynamiques locales beaucoup plus fortes.


Mais que peuvent et doivent faire les pays pour promouvoir des approches territorialisées pour la sécurité alimentaire ? Et bien beaucoup de choses, notamment :


  1. -renforcer les systèmes d’information territoriale ;

  2. -promouvoir des systèmes agricoles et alimentaires territorialisés. Il ne suffit pas en effet de s’occuper de la seule chaîne de valeur mais aussi prendre en considération le contexte social, environnemental et culturel ;

  3. -renforcer les partenariats rural-urbain ;

  4. -valoriser, promouvoir et mettre à échelle les idées novatrices nées de démarches locales et communautaires qui ont fait leurs preuves et peuvent prendre de l’expansion et adapter le système de gouvernance à la nature multidimensionnelle de la sécurité alimentaire ;

  5. -assurer une coordination des politiques sociales, d’aménagement et de productivité. Les transferts monétaires peuvent être de puissants facteurs de renforcement de la productivité agricole. Le progrès nécessite un bien meilleur accès au crédit, et des infrastructures adaptées (transports, équipements de stockage, chaîne de froid...) ;

  6. -valoriser les opportunités sous-exploitées des territoires ruraux, diversifier les revenus et mettre en place des systèmes de paiements pour services environnementaux (PSE). Les migrations vers les villes viennent du désespoir et c’est cela qu’il faut combattre.


Cette complexité peut faire peur et donc apparaître comme une contre-indication. Cependant, l’approche systémique est bien celle à suivre et on a aujourd’hui les instruments pour aller de l’avant. Ceci est d’ailleurs confirmé par les nouveaux Objectifs du Développement Durable qui ont été conçus comme un réseau au sein duquel tous les objectifs et les cibles sont interconnectés et qui encouragent un suivi intégré des cibles. Ainsi l’objectif 2 visant à mettre un terme à la faim et à la malnutrition propose cinq cibles, dont la première est l’élimination de la faim pour tous, mais il existe au moins sept autres objectifs qui ont un lien étroit avec la sécurité alimentaire. L’atteinte de ces objectifs contribuera aussi à éliminer la faim dans le monde. Tout doit être rendu aussi simple que possible mais pas plus simple que ce qui est nécessaire.


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*        Présenté au 4ème Séminaire International SESAME, “De la COP21 à la COP22, relever le triple défi: « sécurité alimentaire, atténuation et adaptation » en Méditerranée et en Afrique de l’Ouest”, tenu à Meknès, Maroc, le 27 avril 2016. Vito Cistulli travaille comme Économiste principal dans la Division des Politiques Sociales et Institutions Rurales de la FAO (ESP).

**       Organisation des Nations unies pour l’agriculture et l’alimentation (en anglais : Food and Agriculture Organization), Rome, Italie.

***      Organisation de Coopération et de développement économiques, Paris, France.

****  Fonds d'équipement des Nations unies  (en anglais : United Nations Capital Development Fund), New York, États-Unis.

 

Dernière actualisation: juillet 2016

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