Opinions

 

Télécharger    ARP Vietnam fr.pdf


Le Vietnam aspire à une transformation agricole durable


Klaus Urban* et Günther Feiler**


Le Plan de restructuration agricole du Vietnam (ARP - Vietnam’s Agriculture Restructuring Plan)

Au cours des deux dernières décennies, le Vietnam a connu une avancée remarquable dans les domaines de la croissance économique et de la réduction de la pauvreté. Entre 1990 et 2013, la croissance économique moyenne a progressé à un rythme de 7 à 8% par an, et la proportion des pauvres dans la population est tombée de 58% à 21%. L’augmentation de la production agricole, en particulier, a assuré la sécurité alimentaire et fait une contribution essentielle au développement économique et social et à la stabilité.



                                  photo: http://www.mard.gov.vn      

Aujourd’hui, les principales sources de revenu pour les deux tiers de la population vietnamienne proviennent encore des zones rurales où vivent plus de 90% de la population pauvre du pays. Alors que le poids de la production agricole primaire dans le PIB est tombé à environ 18%, comparé à 31% il y a vingt ans, le ‘complexe agricole’, qui englobe également les industries agricoles et alimentaires et les services qui y sont liés, représente un tiers du PIB et des exportations de marchandises du Vietnam.

Mais ce scénario de croissance a peu de chances de se poursuivre ainsi dans le futur. Une compétition accrue des autres secteurs pour les ressources, l’évolution de la demande nationale et internationale, et l’augmentation des coûts forceront le secteur agricole à produire plus avec moins. La compétition à laquelle font face les producteurs n’est plus simplement une compétition par les prix : à présent, la compétition se fait aussi sur la qualité, le respect des normes, la fiabilité et la durabilité. Le secteur agricole va devoir apprendre à s’adapter à l’évolution de la demande, renforcer ses capacités et devenir plus apte à l’innovation.

Pour faire face à ces nouveaux défis, le gouvernement vietnamien a approuvé en juin 2013 un nouveau Plan de restructuration de l’agriculture (ARP) qui déplacera l’accent mis sur la planification centralisée vers une approche dans laquelle la prise de décision sera de plus en plus transférée vers des opérateurs répondant aux opportunités et au forces du marché. Le Plan cherche à assurer cette transition en préservant, cependant, les droits et les revenus des petits producteurs qui constituent la masse des agriculteurs vietnamiens. Assurer le bien-être à long terme des producteurs et de consommateurs est un objectif prioritaire de l’ARP. La croissance verte et la durabilité sont également des concepts centraux sur lesquels s’appuie le Plan.

Six principes fondamentaux sont à la base de l’ARP. D’abord, les objectifs assignés à l’agriculture et au développement rural s’inscriront dans le cadre conceptuel du développement durable. Deuxièmement, l’agriculture vietnamienne sera de plus en plus fondée sur le marché alors que le développement rural continuera d’être guidé par des préoccupations sociales. Troisièmement, dans beaucoup de domaines d’activité, le rôle du gouvernement évoluera progressivement pour passer de celui de principal investisseur et fournisseur de services à celui de facilitateur de ce type d’activités qui seront dorénavant assurées par d’autres opérateurs. Quatrièmement, le gouvernement va mettre en application les concepts de partenariat et de co-gestion pour définir ses nouvelles relations qu’il aura avec le secteur privé et les organisations communautaires. Cinquièmement, tous les segments de la société, au niveau central et local, auront un rôle particulier à jouer dans le processus de restructuration. Et sixièmement, la restructuration sera un processus progressif et évolutif qui laissera toute sa place aux ajustements et adaptations qui s’avèreront nécessaires.


De la vision à l’action

Le défi principal à présent est de traduire cette vision dans la pratique. Pour pouvoir effectivement suivre une stratégie plus orientée vers le marché, le Ministère de l’agriculture et du développement rural (Ministry of Agriculture and Rural Development - MARD) devra changer sa manière de travailler, et cela de plusieurs façons. Un domaine de changement particulièrement important sera la redéfinition de la manière de laquelle les divers départements du MARD déterminent et fournissent de nouveaux services au secteur. A partir de fonctions et services redéfinis, MARD devra examiner et adapter ses processus internes, éliminer les lacunes et les doublons ainsi que développer davantage son orientation vers la prestation de services. Pour réussir, la prise de décision devra être plus collaborative. Quelques responsabilités principales devront être transférées et assurées par les producteurs qui devront en accepter les risques en échange d’un plus fort potentiel de gains. Avec de tels objectifs ambitieux, le Plan pour la restructuration de l’agriculture devra nécessairement comprendre un processus d’expérimentation et d’adaptation qui se poursuivra sur plusieurs années.

Une mise en oeuvre effective de l’ARP nécessitera aussi un programme complet de renforcement des capacités. Le personnel du MARD et leurs collaborateurs devront être amenés à comprendre et assumer les nouvelles responsabilités très différentes du gouvernement dans un système et des processus qui seront fondés sur le marché. Il leur faudra un appui pour assimiler les concepts de croissance verte et de développement durable, ainsi que leurs implications. Ils devront aussi prendre l’habitude d’utiliser des outils simples mais essentiels d’analyse de projet, d’analyse financière et économique, et de suivi et d’évaluation. Il leur faudra également faire des efforts importants pour acquérir les compétences ‘douces’ requises par le nouveau rôle de facilitateur du MARD.

Un processus ambitieux de restructuration comme l’ARP exigera aussi un programme complet de communication et d’information. Toutes les parties prenantes de l’ARP, qu’ils soient du gouvernement ou non, devront être pleinement informés des objectifs du Plan. Cette information devra se faire à toutes les étapes du processus de restructuration. L’expérience internationale montre en effet que le manque d’une bonne communication est l’une des causes principales d’échec de beaucoup d’efforts de réforme ou de restructuration.



Indispensable: une nouvelle manière de planifier les investissements agricoles et d’assurer le suivi du secteur


Les investissements et le suivi du secteur agricole sont deux domaines qu’il faudra examiner, redéfinir et peut-être élargir pour rendre le Plan effectif dans la pratique. Dans chacun de ces deux domaines, les changements indispensables seront substantiels et comprendront une réorientation des responsabilités, le partage d’informations entre les acteurs publics et privés, ainsi que des nouveaux dispositifs institutionnels pour la co-production de services.


À l’heure actuelle, l’investissement agricole manque d’orientation stratégique et n’est pas adapté pour soutenir l’innovation agricole. Il ne contribue pas au développement d’un environnement favorable à l’investissement privé dans l’agriculture ou au développement de flux de capitaux vers là où la récupération des capitaux est faible ou vers les zones défavorisées où l’investissement privé ne peut pas encore être mobilisé. Le Plan de restructuration envisage un basculement vers des investissements qui soutiendront l’augmentation de la productivité des entreprises dans les chaines de valeur et attireront des investissements privés vers l’agriculture, y compris des investissements étrangers. Cette nouvelle orientation devra être reflétée dans le plan public d’investissement et son budget. Changer les schémas traditionnels d’investissements publics - par exemple en vue de promouvoir des investissements soutenant la création et la mise en oeuvre d’innovations agricoles - n’est pas quelque chose qui pourra se faire du jour au lendemain. Renforcer et permettre l’adoption de connaissances accumulées ailleurs dans le monde nécessitera l’établissement de systèmes d’innovation agricole décentralisés et opérant sur demande. Cela remettra aussi en cause des pratiques (et privilèges) bien implantés.


De même, le suivi du secteur agricole devra être adapté à la nouvelle politique. Pour l’instant, les décisions portant sur les entreprises agricoles et les politiques de soutien reposent principalement sur des indicateurs techniques, alors que les considérations financières et économiques telles que la rentabilité et les coûts marginaux sont peu communes. Cependant, ce sont ces derniers indicateurs qui sont les principaux facteurs orientant la volonté des producteurs d’adopter ou non les nouvelles technologies et les conseils techniques, et qui déterminent la performance et la durabilité futures des pratiques agricoles. De plus, ces indicateurs permettront aussi d’avoir une vue sur le progrès de la mise en oeuvre de l’ARP.

Pour l’heure, le suivi du secteur consiste à rapporter des informations quantitatives, telles que les superficies plantées ou les quantités produites. Il s’intéresse surtout à la réalisation des grands objectifs quantifiés fixés par le gouvernement dans ces domaines. Avec la restructuration envisagée, le suivi et l’évaluation du secteur portera davantage sur des indicateurs de performance du secteur tels que sa contribution au revenu des producteurs, la compétitivité des différentes cultures au Vietnam mais aussi dans le reste du monde, l’efficacité des investissements et des politiques publiques, ainsi que la gestion efficace et durable des ressources naturelles. Voilà qui demandera une connaissance approfondie des entreprises agricoles et de leur économie. Il s’agira d’incorporer dans le système de suivi du secteur de nouvelles sources de données, de nouveaux acteurs, de nouvelles méthodes d’analyse conjointe (producteur/vulgarisateur, expert et chercheur) afin de s’assurer que les futures réformes de politiques et les décisions portant sur les investissements soient basées sur des informations solides et soient soutenues par tous les acteurs concernés.

Pour résumer, l’ARP est un programme très ambitieux. Son exécution se fera dans certains départements du MARD, les provinces et les districts, les filières et les fermes et entreprises individuelles, par la combinaison de changements organisationnels et comportementaux, et par des efforts en vue de renforcer l’accès à des connaissances, des savoir-faire et des compétences pertinentes. Comme c’est le cas dans la plupart des processus de changement, sa progression risque d’être inégale dans le temps et l’espace, et dans les différentes organisations - ce qui introduit un défi supplémentaire où le risque et l’incertitude représentent le prix à payer d’un recours plus fort au marché et à ses processus.

(Rome, décembre 2014)

------------------------

* Klaus Urban travaille comme Expert principal du développement institutionnel au Centre d’investissement de la FAO, à Rome, Italie klaus.urban@fao.org.

** Günther Feiler travaille comme Chargé du renforcement des capacités au Centre d’investissement de la FAO, à Rome, Italie gunther.feiler@fao.org


N.B.: Les opinions exprimées dans cet article sont ceux des auteurs et ne représentent pas nécessairement le point de vue de la FAO.

 

Dernière actualisation: décembre 2014

  1. Retour vers Opinions

Pour vos commentaires et réactions: lafaimexpl@gmail.com